Concertonet.com,
Laurent Barthel
Strauss: Der Rosenkavalier, Baden-Baden, 01/25/2009 - et les 28 et 31* janvier 2009
Moteur !
Plus aucun éditeur n’ose investir dans l’enregistrement de studio d’un opéra du grand répertoire aujourd’hui, le relais semblant pris par le DVD, nouvelle industrie du luxe musical dont le tournage en public de ce Chevalier à la Rose constitue un exemple probant.

Grâce en partie au carnet d'adresses bien fourni de l'intendant du Festival de Baden-Baden, Unitel a pu réunir ici une distribution fabuleuse, comparable en ambition aux seules grandes productions discographiques de l’âge d’or du team Culshaw pour Decca, dans les années 1960/70. Le Festival en a profité pour garnir à trois reprises sa salle géante jusqu’au dernier fauteuil et tirer de l’opération une appréciable valorisation d’image. Ravi de compter parmi les chanceux admis là, le public en sera sorti forcément enchanté, et devrait en principe acheter le DVD ultérieurement. Pour le reste, et en particulier ce que l’on pourra dire ou penser d’un tel spectacle à chaud…

Invitée au tournage mais reléguée sous le toit du bâtiment, à quelques mètres du plafond, la presse n’a au mieux qu’à faire état de l’événement. Et que même les critiques du DVD terminé, qui seront mieux à même de juger dans des conditions décentes que leurs collègues en salle, ne se fassent pas d’illusions : avec une telle affiche le produit se vendra bien, quel que soit leur avis. Et on s’en réjouit : autant occuper ce marché relativement vierge du DVD lyrique par des projets ambitieux plutôt que par les reportages bâclés qui l’envahissent chaque mois davantage.

Passons donc sans plus tarder le générique en revue. Renée Fleming se devait d’immortaliser enfin sa Maréchale, a priori un emploi en or pour elle, de même que les Quatre derniers Lieder de Strauss qu’elle a déjà gravés à deux reprises. Son Monologue du I est fabuleux en termes de régularité de l’émission, de galbe de la ligne, de beauté intrinsèque du timbre. Mais pour le reste : le medium paraît voilé, obligeant la chanteuse à proférer laidement certains sons pour se faire entendre, et toute la partie du rôle qui relève moins du chant pur que de la conversation musicale, soit se perd dans la salle géante du Festspielhaus, soit au mieux paraît clairement dite et non interprétée. Quant à l’incarnation physique de la détresse du personnage, elle paraît fort sommaire, du moins détaillée avec des jumelles. Mais gageons que l’ingénieur du son et un bon montage des prises de vues (Brian Large est aux commandes) feront des miracles par la suite...

Le couple d’amants juvéniles passe mieux la rampe. La voix relativement claire de Sophie Koch remplit sans effort apparent un vaste espace et la crédibilité physique de la chanteuse en rôle travesti, physionomie anguleuse et gamme très étudiée d’attitudes masculines, rappelle l’Oktavian de référence campé naguère par Brigitte Fassbaender, ce qui n’est pas un mince compliment. Très attendue en Sophie, Diana Damrau souligne sans grâce son personnage d’oie blanche éblouie par les paillettes du grand monde, mais la ravissante légèreté de sa ligne de chant est un délice, culminant au moment de la présentation de la rose en une phrase ailée, à la fois intensément présente et immatérielle, miracle vocal soutenu par un Christian Thielemann en état de grâce, qui fait rayonner au maximum de leur fruité les timbres racés de la Philharmonie de Munich. Un culte du beau son orchestral qui ailleurs paraît plus gratuit, voire peu efficace sur le plan dramatique, ou même envahissant (la fin du Trio du III, balayée par un splendide tsunami mélodique), mais que l’on aurait mauvaise grâce de stigmatiser.

Ouvrons une parenthèse à propos de Franz Hawlata, excellent comédien nanti du physique et de la faconde d’un vrai Baron Ochs, mais guère des moyens musicaux qui s’imposent. La voix est trop claire, manque de creux (l’extrême grave est davantage râclé que chanté), voire de fiabilité technique. Au 3e acte la fatigue de l’interprète devient tellement invalidante qu’on ne l’entend quasiment plus. A l’écran l’expressivité de la mimique compensera peut-être ces déficiences. Mais vu et entendu de (très) loin ce Baron Ochs paraît simplement grisâtre et vulgaire.

Quelques mots enfin à propos du plaisir que procurent les plus petits rouages de la distribution. Confier un rôle d’apparence aussi anodine que celui de l’aubergiste à un chanteur de la trempe de Jörg Schneider (récemment encore Jacquino dans la production de Fidelio dirigée par Claudio Abbado) peut s’avérer payant (l’entrée de la Maréchale au III : une seule phrase, mais qui renforce à 200 % l’intensité du moment quand elle chantée aussi bien). Et retrouver Jane Henschel en Annina, un ténor de la pointure de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke en Valzacchi, le vétéran Franz Grundheber, toujours impressionnant Faninal, voire l’excellente Irmgard Vilsmaier dans le rôle de Jungfer Marianne, trop souvent confié à des braillardes usées, constitue une suite de petits régals toujours bonne à prendre. En revanche on avoue sa déception devant le chanteur italien de Jonas Kaufmann, sur le papier sans doute le luxe le plus insolent de la soirée. L’attraction surprise se réduit à une voix opaque, à l’émission poussée et tubée, manifestement inadaptée à l’emploi. On est prêt à parier que Ramon Vargas, annoncé à Munich pour la reprise du spectacle en concert le 6 février prochain, y sera beaucoup mieux à sa place.

Quant à la production d’Herbert Wernicke, déjà vue à Salzbourg en 1995 puis à Paris, elle a été minutieusement remontée par Alejandro Stadler, voire un peu trop fidèlement. Le décor continue à fonctionner plus ou moins bien, avec ses moments de génie (la présentation de la rose, pertinente et sensible parodie de music-hall, la poésie du tableau final du III…) et ses platitudes (la chambre à coucher de la Maréchale, aussi grande qu’un hall de gare, avec son horrible lit King size central, sur lequel il faut courir pour réussir à le traverser). Les costumes sont pour la plupart déplacés, voire hideux, et mieux vaut passer sous silence une série de gags vulgaires qui volent très bas et ne sont même pas drôles, véritable injure à la finesse du texte d’Hofmannsthal. Même les années qui s’accumulent sur un travail et la disparition prématurée de son maître d’œuvre ne pourront transformer une demi-réussite (ou un demi-ratage, c’est affaire de point de vue) en classique.

Reste que l’on a fait depuis lors bien pire encore dans le Rosenkavalier, et que les enjeux financiers majeurs d’une telle production imposaient de préférer la sécurité du déjà vu. Dont acte. En attendant le DVD…






 
 
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