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Altamusica |
Gérard MANNONI |
Récital du ténor Jonas Kaufmann accompagné par l’Orchestre de Belgique
sous la direction de Michael Güttler dans la série des Grandes Voix au
Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
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Le cas Kaufmann
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Énorme triomphe pour le premier
concert du ténor allemand Jonas Kaufmann avec orchestre à Paris. Une de ces
soirées qui marquent une carrière, même pour un chanteur passé en deux ou
trois ans du stade d’honorablement connu à celui de superstar
internationale. Un succès mérité pour un artiste qui s’impose comme un cas à
part dans le monde des ténors actuels. |
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Même si le public des Grandes voix n’est jamais
avare d’applaudissements ni d’acclamations, on l’a quand même rarement vu et
entendu manifester aussi bruyamment et aussi longtemps sa satisfaction. Pour
employer des termes souvent lus jadis dans la presse spectacle, Jonas
Kaufmann avait « Paris à ses pieds », rêve de tant d’artistes toutes
catégories confondues.
Certes, ce jeune quadragénaire a l’avantage d’un physique qui, casque de
boucles noires et barbe de deux ou trois jours, est plus celui d’une rock
star que d’un traditionnel chanteur à voix, même en strict frac. Mais Paris
en a vu d’autres en la matière et si l’accomplissement vocal particulier
déployé toute la soirée dans un répertoire très varié n’avait pas été aussi
exceptionnel, le délire n’aurait pas atteint ces proportions.
Tâchons, malgré tout, de ne pas raison perdre. Quatre noms dominent
actuellement le monde des ténors. Inutile de tenter un classement, même si
on est en droit de penser que l’empereur Alagna garde la longueur d’avance
qu’une carrière très tôt débutée et intelligemment menée, des dons naturels
et un charisme inégalable lui confèrent. Car chacun a sa personnalité.
À Juan Diego Flórez l’apanage d’un répertoire romantique orné et d’une voix
si sûre qu’elle lui ouvre aujourd’hui des horizons plus vastes. À Rolando
Villazón la générosité fougueuse d’un timbre de soleil parfois surmené mais
rutilant de séductions.
Une maturité en plein devenir
À Jonas Kaufmann, avec une maturité presque tardive et encore en plein
devenir, un art du chant unique dans son raffinement, sa maîtrise du
souffle, de toutes les techniques d’émission et donc des nuances, ainsi
qu’une élocution exemplaire en toute langue qui en font un interprète
totalement exceptionnel et lui ont ouvert aussi l’univers de la mélodie au
plus haut niveau. Ajoutons enfin que ces quatre jeunes messieurs pourraient
aussi bien jouer les jeunes premiers au cinéma que sur les planches des
théâtres lyriques. Nous avons bien de la chance !
Dans un programme très proche de son splendide premier CD chez Decca – un
autre tout allemand va bientôt paraître sous la baguette de Claudio Abbado –
comprenant des pages ultra célèbres de Puccini – les deux airs de Mario de
Tosca et l’air de la Bohème – les Stances d’Ossian de Werther, Ach so fromm
de Flotow, la Fleur que tu m’avais jetée de Carmen et le Récit du Graal de
Lohengrin, Kaufmann fascine par la manière dont, refusant absolument tout
effet de voix non justifié par le texte ou les intentions profondes de la
musique, il fait de chaque page un moment de musique et de théâtralité
bouleversantes.
Certes, le timbre est très beau, sur toute la tessiture, mais ce qui est
particulier au ténor est de ne chanter forte que lorsque cela est
strictement nécessaire, choisissant toutes les autres nuances et couleurs,
des sons les plus ténus, parfois en voix de tête, le plus souvent sans
détimbrer mais en gardant sur la pointe du souffle le minimum de vibrations
indispensables pour phrasé avec une identique sécurité.
Très haute technique pour passer ainsi sans cesse des sons les plus ténus
aux plus forts sans la moindre rupture de la ligne mélodique. La fin de
l’air de Don José s’estompant dans un bouleversant pianissimo tout en
montant vers l’aigu, les premières phrases du Graal baignant dans un
lumineuse intériorité magique, le oh dolci baci o languide carezze de
Cavaradossi porté « sur les ailes roses de l’amour », ou encore, en bis, le
Songe de Des Grieux, dans un incroyable murmure irréel, au phrasé parfait,
d’une émotion immatérielle, entre deux mondes, avaient bien de quoi
déchaîner ces déferlements d’enthousiasme d’un public qui termina par une
standing ovation ses remerciements après quatre bis généreusement accordés.
Au tournant de la carrière
Il ressort de tout cela que Kaufmann est à l’évidence à un nouveau tournant
d’une carrière débutée avec Mozart, poursuivie avec les Italiens qui l’ont
conduit au triomphe international et qui le mène maintenant vers Wagner et
un répertoire encore plus lyrique, voire dramatique, comme en témoignera
d’ailleurs certainement son prochain CD chez Decca.
Il chantera son premier Lohengrin à Munich en juillet prochain puis à
Bayreuth en 2010, sera aussi bientôt le Siegmund du Met. Dangereux ? On ne
devrait pas se faire de soucis. Kaufmann n’est pas un ténor « qui a les
résonateurs à la place de la cervelle » selon l’expression qui a avec humour
parfois évoqué ce type de voix.
Avec une telle technique, un telle intelligence de la musique et du texte,
Jonas Kaufmann a ce qu’il faut pour savoir ne pas aller trop loin et surtout
comment choisir ce qu’il doit élaguer désormais dans les rôles qui l’on
conduit à des triomphes comme celui vécu en ce mémorable récital du Théâtre
des Champs-Élysées.
Une soirée qui n’eut qu’un point sinon vraiment noir, du moins assez gris,
celui de l’accompagnement orchestral ou plutôt de l’exécution des
indispensables intermèdes qui ponctuent ce genre de concert. À la tête de
l‘Orchestre national de Belgique, le chef allemand Michael Güttler a tout
dirigé trop lentement ou trop vite, beaucoup trop vite, avec un goût affiché
pour le clinquant et le bastringue assez affligeant. Il est, nous dit-on,
superbe dans le grand répertoire wagnérien. Sans doute est-ce une erreur de
casting de lui confier Mascagni, Verdi ou Bizet ? |
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