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Opéra, Janvier 2010 |
Paolo di Felice |
Bizét, Carmen, Mailand, 7. Dezember 2009
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Sur les autres scènes COMPTES RENDUS: Milan, Carmen
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La
Carmen d’ouverture de saison à la Scala a été précédée d’une minute de
silence, réclamée par les personnels de la maison en signe de solidarité
avec les difficultés rencontrées par les autres théâtres italiens, victimes
de la crise et de la baisse des subventions publiques. Le rideau s’est
ensuite levé sur une production qui a suscité autant d’attaques que
d’applaudissements, l’accueil réservé au rideau final à Emma Dante et son
équipe se partageant entre sifflets et ovations.
En toute franchise, le trax7ail de la réalisatrice, figure de proue du
théâtre d’avant-garde italien, ne mérite ni les uns, ni les autres. Dans un
décor de briques rouge sombre typiquement «peduzzien », son mérite est
d’arracher Carmen à l’esthétique de carte postale chère au public milanais,
qu’un Franco Zeffirelli illustre sans doute le mieux à l’heure actuelle.
Située dans un lieu indéterminé — même si l’on songe plus d’une fois à
l’Italie du Sud —, peuplée de déshérités et d’accidentés de la vie, cette
production montre un univers de violence, dominé par les pulsions les plus
élémentaires et la superstition. Prêtres, enfants de choeur, croix, ex-voto,
encensoir géant... Emma Dante en fait presque trop pour dénoncer
l’omniprésence de la religion, contre laquelle se dresse Carmen, symbole de
la liberté conquise à n’importe quel prix, fût-ce la vie. L’idée n’a rien
d’original, mais elle ouvre des perspectives intéressantes sur l’ouvrage. Le
problème, ici, c’est qu’elle ne fonctionne que par moments. Très réussies,
par exemple, la rixe entre les cigarières et la mort de Carmen, qui préfère
pousser Don José au meurtre plutôt que de se soumettre à son désir. Plus
discutables, en revanche, une tendance excessive à l’abstraction et à la
sur-interprétation (hors de propos dans un opéra aussi fondamentalement
réaliste), et, surtout, une direction d’acteurs souvent conventionnelle. On
a, déjà vu cent fois Carmen danser la jupe relevée en faisant claquer ses
talons, ou Escamillo entonner son «Toréador» debout sur une table, bras levé
et sourire conquérant sur le visage.
À la tête d’un orchestre en grande forme et de choeurs comme toujours
exceptionnels, Daniel Barenboim impose une direction incisive et théâtrale.
Alternant couleurs denses et sonorités éthérées, il a le constant souci de
mettre en valeur le moindre détail.
Issue de l’Académie de la Scala, Anita Rachvelishvili, 25 ans seulement, est
une Carmen à la voix étendue, chaude, homogène, soutenue par une technique
solide. Il lui reste à travailler davantage son phrasé et, surtout, à
approfondir sa conception du personnage. Sur ce plan, Emma Dante a sans
doute sa part de responsabilité. C’était à elle d’aider la jeune mezzo
géorgienne à éviter les clichés de la femme fatale et arrogante, en
apportant le zeste de distanciation et d’ironie qui l’aurait rendue plus
humaine.
Avec son timbre sombre et velouté, doublé d’une remarquable intelligence
du texte et d’une formidable présence scénique, Jonas Kaufmann campe un Don
José viril et intense. Sur le strict plan technique, on peut discuter des
pianissimi un peu étouffés, des aigus plus volumineux que brillants... Reste
que la prestation du ténor allemand est largement à la hauteur de ce que
l’on est en droit d’attendre à la Scala, un 7 décembre.
On n’en dira pas autant de la médiocre Micaëla d’Adriana Damato, à la peine
vocalement et dramatiquement insipide. Erwin Schrott n’est pas non plus à
l’aise dans la tessiture d’Escamillo, en particulier dans le grave, et son
approche du personnage est on ne peut plus prévisible. Mais on portera à son
crédit un réel souci de varier le phrasé. Les seconds plans, dans
l’ensemble, sont bien tenus.
Au rideau final, grand succès pour Barenboim et l’orchestre (appelé sur
la scène), délire pour Rachvelishvili et Kaufmann, contestations pour
Damato, tièdes applaudissements pour Schrott et, nous l’avons dit, brouhaha
pour Dante et son équipe. Au bout d’un quart d’heure, Barenboim, en revenant
sur le plateau avec la metteuse en scène, a eu un beau geste dont on se
souviendra.
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