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Opéra Magazine, janvier 2009 |
Richard Martet |
Beethoven: Fidelio, Paris, Palais Garnier, novembre/décembre 2008
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Fidelio
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Absent de l’Opéra de Paris depuis 1982, Fidelio se devait d’y
revenir. Encore s’agissait-il de savoir comment.., On imaginait mal Gerard
Mortier jouer la carte de la tradition, comme dans Luisa Miller la
saison dernière et, de fait, cette nouvelle production bouscule les
habitudes.
Son originalité ne réside pas dans son décor, ni dans ses costumes. On a
déjà vu, en effet, des Fidelio transposés dans une prison moderne,
avec un premier acte situé dans la salle commune du personnel, où
Marzelline, en petite robe imprimée multicolore, range les uniformes des
gardiens (ici, des espèces de pyjamas gris) sur des étagères.
Contrairement à un Christoph Marthaler dans La traviata, par
exemple, Johan Simons n’en profite pas pour nous raconter une autre
histoire et, à défaut de l’approfondir, il respecte l’identité
psychologique des personnages (Pizarro en directeur tyran, Leonore en
épouse prête à tout pour retrouver son mari, Rocco en chef des gardiens
certes vénal mais humain...). Non, ce qui distingue ce spectacle des
autres, c’est la réécriture complète des dialogues parlés par Martin
Mosebach, et leur traitement par le metteur en scène et ses dramaturges,
Koen Tachelet et Jan Vandenhouwe. Comme dans la Médée de Cherubini
signée par Krzysztof Warlikowski à Bruxelles, au printemps dernier, nous
entendons un texte (sonorisé) n’ayant plus rien à voir avec celui que nous
connaissions. Pourquoi pas, après tout ? Martin Mosebach, dont on peut
lire l’argumentaire dans le programme de salle, n’est pas le premier à
souligner la «gaucherie» du livret de Sonnleithner et il a l’honnêteté de
rappeler que cette faiblesse n’a jamais fait obstacle au succès de
l’ouvrage. Sauf qu’à partir du moment où l’on effectue ce choix (à notre
avis beaucoup moins justifié que dans Médée, où les vers d’Hoffman
posent de réels problèmes aux chanteurs actuels), il devient impératif de
faire mieux que l’original. Et c’est là que le bât blesse... Souvent plus
proches du monologue que du dialogue, encombrés de redondances et martelés
avec emphase par les solistes, ces passages parlés s’étirent d’autant plus
interminablement qu’ils sont émaillés de «silences» totalement injustifiés
(ceux de Warlikowski à Bruxelles étaient, au contraire, porteurs de sens).
Dans un opéra à la dramaturgie déjà fragile, surtout au premier acte, cela
ne pardonne pas.
Sylvain Cambreling — qui a préféré l’ouverture Leonore I à celle de
Fidelio et rétabli, au début du I, l’ordre des morceaux de la première
version de 1805, avec l’air de Marzelline d’abord, puis le duo avec
Jaquino et le trio Marzelline-Jaquino-Rocco — a le mérite d’accorder sa
lecture orchestrale au rythme de la production. Il est donc extrêmement
lent (sauf dans le choeur final, soudain mené au pas de charge), au risque
de mettre en péril les chanteurs. Le résultat est parfois superbe («Mir
ist so wunderbar», «Komm, Hoffnung»), mais l’impact émotionnel de la
musique tend à se diluer au fil de la soirée.
Par chance, Gerard Mortier a réuni une distribution somptueuse, qui
réussit à s’imposer malgré les obstacles placés sur son chemin. Sur le
strict plan vocal, Angela Denoke est sans doute moins satisfaisante que
ses partenaires, cette artiste attachante trahissant depuis toujours de
redoutables incertitudes dans l’intonation, qui s’entendent beaucoup plus
dans Fidelio (voir son intégrale avec Simon Rattle chez EMI) que
dans Wozzeck ou L’Affaire Makropoulos. Mais l’engagement de
l’interprète force plus d’une fois l’adhésion. Les autres vont de
l’excellent (le Jaquino stylé d’Ales
Briscein, la lumineuse Marzelline de Julia Kleiter, déjà remarquée à
Baden-Baden avec Claudio Abbado, le puissant Pizarro d’Alan Held, le Don
Fernando à la fois subtil et sonore de Paul Gay) à l’exceptionnel.
Ce qualificatif s’applique d’abord à Franz-Josef Selig, Rocco au timbre
profond et aux accents d’une bouleversante humanité, et surtout à Jonas
Kaufmann, très certainement le meilleur Florestan actuel. De l’attaque
pianissimo de «Gott ! Welch Dunkel hier» à l’exaltation
crescendo de «Und spür’ ich nicht linde, sanft säuselnde Luft»,
le ténor allemand est impressionnant de beauté vocale, d’aisance et
d’émotion dans son air d’entrée. Alors que tant de ses confrères
s’époumonent dans cette tessiture meurtrière, il donne l’impression que
tout est facile pour lui la musique et le texte semblent couler de source,
dans une osmose parfaite, et le personnage se construit tout naturellement
sous nos yeux, avec une évidence confondante. Dommage que la mise en scène
n’ait pas joué davantage sur le charisme de l’acteur.
Au bilan, une soirée longuette (une heure quarante pour la première
partie, soit trente minutes de plus que d’habitude !), en partie sauvée
par une distribution de haut vol. |
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