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Anaclase.com |
Isabelle Stibbe |
Beethoven: Fidelio, Paris, Palais Garnier, 11 décembre 2008
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"fidelio", opéra de ludwig van beethoven
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Un couple heureux dont la vie bascule quand l'un
des deux est emprisonné injustement. Jusqu'où peut aller l'amour conjugal
pour faire évader le conjoint innocent ? Non, il ne s'agit pas de la
bande-annonce du film Pour elle, actuellement sur les écrans, mais du livret
de Fidelio. Ecrit deux siècles plus tôt, l'opéra de Beethoven est bien plus
moderne
que le film. Si ce dernier a choisi l'homme pour aller à la rescousse de sa
femme (hypothèse finalement classique du chevalier libérant la princesse
enfermée dans la tour du château), l'opéra inverse la proposition. Pour
arriver à ses fins, la femme (Leonore) n'hésite pas à se déguiser en homme
(Fidelio), à travailler dans la prison où son époux (Florestan) est enfermé,
parcours héroïque qu'on imagine on ne peut plus difficile dans un
dix-huitième siècle où la condition féminine est principalement domestique.
Les questions de l'enfermement, des abus du pouvoir, des prisonniers
politiques, de la torture étant - malheureusement - universelles et de tous
temps, il est à supposer qu'elles résonnent d'elles-mêmes aux esprits
contemporains. Dès lors, était-il vraiment utile de remanier le livret,
com-me l'a fait, pour cette production de l'Opéra Garnier, Martin Mosebach ?
Ses dialogues ne font qu'ajouter de la lenteur à l'action, jusqu'à l'ennui
parfois.
Plus intéressants sont les aménagements musicaux proposés par Sylvain
Cambreling, aménagements dont il s'explique de façon très con-vaincante. On
sait que Fidelio connut plusieurs versions : créé en 1805, c'est la
troisième version, celle de 1814, qui s'est imposée au cours des siècles.
Retenue ici, elle est néanmoins présentée dans une lecture qui s'inspire de
la première. Ainsi a-t-on ajouté au premier acte un trio entre Marzelline,
Joaquino et Rocco, ce qui permet de mieux fouiller les rapports entre les
personnages, mais surtout de mettre l'accent sur le formalisme initialement
voulu par Beethoven : le premier numéro devient le solo de Marzelline, le 2e
un duo (Marzelline, Joaquino), le 3e ce trio, avant d'arriver au magnifique
quatuor (les mêmes, plus Leonore). Ce changement dans l'ordre habituel dicte
le choix de l'ouverture Leonore I pour rester, comme dans l'air de
Marzelline, dans la tonalité d'ut.
C'est dans ce cadre musical formel que débute l'opéra, mis en scène par
Johan Simons. Le 1er acte montre un décor moderne qui, par ses stores
vénitiens, ses portes battantes et ses lampes rouges, évoque davantage un
guichet de sécurité sociale ou un centre hospitalier qu'une prison. Le 2ème
emporte plus l'adhésion, grâce à une idée excellente : bander les yeux de
Florestan, à la façon d'Yves Montand dans L'Aveu de Costa-Gavras. Outre la
ruse technique qui permet d'éclairer la scène plutôt que
de la plonger dans le noir, son intérêt principal est de souligner la
perpé-tuelle mise sous surveillance du prisonnier, regardé sans être vu
parses gardiens au moyen d'écrans de contrôle.
Cette mise en scène n'en reste pas moins glaciale, heureusement réchauffé
par les aptitudes des interprètes. Ainsi l'excellent Alan Held, diabolique
Pizarro, à la voix et à la stature imposantes, qui devient terrifiant quand
sa basse se mue en un rire suraigu. Franz-Joseph Selig déploie une fois
encore tout son talent : flamboyant roi Marke dans Tristan et Isolde, il
compose ici un père de famille touchant, un gardien humble qui s'interroge
sur la légitimité de son métier. Cette chute dans la hiérarchie sociale ne
nuit en rien à sa superbe : la voix reste magnifique, même si, ça et là, la
tessiture paraît un peu haute pour lui. Les deux timbres fémi-nins sont bien
différenciés, atout incontestable dans le quatuor de l'Acte I. La légèreté
et la clarté de Julia Kleiter (Marzelline) contraste avec la puissance et
les couleurs sombres d'Angela Denoke, Leonore lyrique à souhait, fragile et
forte, aussi touchante vocalement que scéniquement. Quant à Jonas Kaufman
(Florestan), on regrette qu'il n'arrive qu'à l'Acte II tant la beauté de son
timbre et l'expressivité de ses piani font mouche.
L'Orchestre de l'Opéra national de Paris, d'abord froid, se réchauffe peu à
peu. Au pupitre, Sylvain Cambreling met en relief la spécificité de l'unique
opéra de Beethoven, à mi-chemin entre classicisme et romantisme. Il réussit
à faire entendre les deux avec maîtrise : derrière le quatuor en apesanteur
perce le trio des vents de Così fan tutte, tandis que l'air terrible de
Pizarro annonce Wagner. Il met tout l'enthousiasme, l'énergie, l'urgence
presque que requiert le chœur final dans une espèce d' Hymne à la joie
vibrant qui, lui, est bien de Beethoven. |
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