Scènes Magazine, Genève, avril 2007
Eric Pousaz
Mozart:  La Flûte enchantée, Zurich, février 2007
La Flûte enchantée 
Dire que son approche a évolué en vingt ans serait un euphémisme. Tout, dans sa direction, s’est radicalisé : les tempos sont nettement plus contrastés, avec une prédominance du lento sur l’agitato ; les contours mélodiques restent violemment soulignés, mais le chef veille également à faire sonner l’orchestre pleinement comme pour annoncer la révolution qui se prépare avec l’avènement, quelques années plus tard, de ce qu’on appellera le romantisme. Au lieu de chercher à rattacher la partition de La Flûte enchantée à la musique du XVIIIe siècle, Harnoncourt en dégage maintenant les signes avant-coureurs de ce qui deviendra un style lyrique plus nettement orienté vers le langage symphonique. Cela pose des problèmes de respiration aux chanteurs, poussés dans leurs derniers retranchements par ces tempos dilatés, mais également aux musiciens de l’orchestre qu’on a entendus plusieurs fois plus impatients que leur chef en cette soirée de première !

La distribution est exemplaire et ne comporte vraiment aucun point faible. Déclaré malade en dernière minute, Christoph Strehl a été remplacé par Jonas Kaufmann, un ténor dont la cote monte à une vitesse éclair depuis quelques mois : son Tamino viril a déjà des accents wagnériens et impressionne autant par son impeccable ligne de chant que par son engagement scénique alors qu’il n’a rejoint la troupe que quelques heures avant le lever du rideau. Julia Kleiter en Pamina est tout aussi admirable : le timbre est épanoui mais souple et fluide, et le jeu subtil malgré la passivité imposée au personnage par le livret. Le Papageno de Ruben Drole est lui aussi plus violent que de coutume, excessif dans son amour pour le vin et les femmes jusqu’à en défigurer passagèrement sa ligne de chant. Sa Papagena, alias Eva Liebau, est nettement plus subtile et sa courte intervention se révèle un des moments les plus lumineux de la soirée. L’inaltérable Matti Salminen fait une forte impression avec son Sarastro bien chantant, même si l’usure du timbre n’est plus aussi facile à camoufler ; rien de tel, par contre, du côté d’Elena Mosuc dont la Reine de la Nuit est un modèle de caractérisation dramatique, avec des aigus piqués dont la netteté agit comme autant de couteaux plantés par la haine dans le cœur de sa fille qu’elle invite à assassiner Sarastro. Le trio des dames, le duo des soldats et le trio des enfants font honneur à une politique de distribution qui fait la part belle à la jeunesse, alors que l’Orateur très latin de Gabriel Bermudez, un ténor à la voix légère et au physique athlétique de jeune premier, et le Monostatos simiesque, vocalement peu présent, de Rudolf Schasching restent en retrait.

La mise en scène de Martin Kusej, elle, n’a pas fait l’unanimité. L’action se déroule dans les dédales labyrinthiques d’un hôpital psychiatrique où domine la catelle blanche et d’où toute fenêtre a été bannie. Le plateau tournant, sans cesse actionné, fait errer le spectateur dans ce lieu clos dont personne ne semble pouvoir s’évader, même pas Sarastro et sa clique de fêtards sirotant le champagne dans des verres en plastique ( !) Chaque scène est réglée avec un souci maniaque de la perfection du geste et de l’adéquation de l’attitude scénique à la situation dramatique ; dans ce contexte, les dialogues sont d’ailleurs donnés dans leur version intégrale, ce qui fait durer la représentation plus de trois heures et demie… ! Cette adroite transposition fait pourtant passer à la trappe un des éléments essentiels de la dramaturgie de Schikaneder : l’esprit du théâtre populaire viennois dont il ne reste plus aucune trace ici... Autant dire qu’on rit peu au cours de la soirée, et que même le sourire se fait rare, sauf lorsque, exceptionnellement, le metteur en scène force le trait comme dans la scène de soulographie de Papageno. Pourtant, à force de vouloir souligner au marker tout le sérieux des situations, Kusej finit par lasser et irrite l’amateur qui lui en veut de ne pas lui laisser sa marge d’interprétation. Le chahut dirigé à son encontre en fin de spectacle en disait long sur la rogne ressentie devant ce que d’aucuns considéraient, déjà à l’entracte, comme un sacrilège. Une telle réaction de révolte, épidermique, est certes exagérée, car elle fait fi du minutieux travail de mise en place et de réflexion livré par M. Kusej, mais il est néanmoins vrai que l’auditeur en a parfois assez d’être pris pour un élève débile à qui il faut répéter systématiquement que même le comique cache une face dramatique dont il convient de prendre conscience…






 
 
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