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Altamusica.com |
Gérard MANNONI |
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007* - et 19, 24, 27,
30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
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La Traviata de tous les défis
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Nouvelle production de la
Traviata de Verdi mise en scène par Christoph Marthaler et sous la direction
de Sylvain Cambreling à l'Opéra de Paris. |
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Ultime production de la saison 2006-2007 de
l'Opéra de Paris, cette nouvelle Traviata signée Marthaler dans les ors du
Palais Garnier a suscité autant d'enthousiasme que d'indignation. Triomphe
absolu pour les chanteurs, mais bronca habituelle pour l'équipe scénique. Et
pourtant, encore une fois, quel fascinant travail théâtral !
Il faudra bien s'habituer un jour à accepter que ces drames lyriques aux
multiples implications d'une cruauté mentale insoutenable puissent être
représentés autrement que dans un style joliment décoratif. Dans la
Traviata, il n'y a pas un rayon de soleil. Sans parents et sans amis, comme
elle le dit elle-même, presque mourante dès le lever de rideau, Violetta n'a
aucune chance de survie, ni morale, ni physique. L'espoir qu'elle entrevoit,
celui d'une rédemption par l'amour, sera sauvagement piétiné par les règles
prétendument morales d'une société décadente, débauchée, mais intransigeante
sur certaines apparences.
Malgré sa poétique évocation d'une Provence pure et idyllique, Germont est
une émanation typique de cette société où les pères de famille ont autant de
rigueur pour la vertu de leur progéniture que d'assiduité à fréquenter les
bordels et les salons des filles qu'ils entretiennent. La Provence était
certes le pays de la mer et du soleil, mais Aix était aussi la ville des
Rougon-Macquart ! Si l'on considère par ailleurs que l'opéra du XIXe siècle
est une forme d'expression fondamentalement politique, il est parfaitement
admissible qu'un metteur en scène prenne parti et préfère accentuer l'aspect
sordide de l'histoire plutôt que son côté crinolines froufroutantes.
C'est le défi qu'à relevé Christoph Marthaler, avec son style propre, ses
défauts souvent agaçants, mais aussi ses formidables idées de véritable
homme de théâtre. Bien sûr, certaines options, concernant les choeurs en
particulier, semblent un peu bâclées, un peu faciles, ce que l'on
appellerait en critique chorégraphique des « pas sur notes », une
illustration quasiment au premier degré des rythmes de la musique.
Bien sûr aussi, comme dans les Noces de Figaro, certains personnages sont
affublés de tics nerveux. Ici, c'est Flora, dont l?angoisse de la maîtresse
de maison qui sent que sa soirée va tourner à la catastrophe se traduit par
des mouvements de jambes et des sautillements ? assez irrésistibles au
demeurant. Mais Marthaler a un tel souci permanent de caractériser chacun
des personnages, de leur donner une vie propre, un tel refus du banal et du
convenu qu'il pousse parfois la caricature un peu loin. Qu'on nous permette
de préférer cela à la pratique encore si courante des chanteurs statufiés
face à la rampe.
On n'a pas fini non plus de s'interroger sur cette mystérieuse femme muette
et d'une angoissante omniprésence, sans doute l'incarnation d'un
incontournable destin, morbide et déréglé, dérangeante vérité que tous
cherchent à masquer, à évacuer, dans ce popoloso deserto che chiamano Parigi
et que rien ni personne ne parvient à gommer du paysage.
Mais en fait, l'essentiel est ailleurs, dans l'extraordinaire travail
théâtral effectué sur les deux principaux protagonistes, auquel ils
répondent l'un et l'autre avec un talent dramatique magistral. Silhouette
volontairement copiée sur celle de Piaf, fragile, brisée mais lutteuse,
Christine Schäfer, à l'opposé de l'ample génie tragique et de la stature
vocale et physique d'une Callas et de celles qui, depuis, ont tenté de
l'imiter, est une Violetta radicalement crédible et bouleversante.
Marthaler va jusqu'à lui faire adopter les gestes et les attitudes de la
môme dans ses tours de chant, à certains moment bien choisis, génialement
éclairés, récurrents comme des leitmotiv. Schäfer n'est certainement pas une
voix à l'italienne, mais, malgré un bas-médium assez faible, voilà une vraie
Violetta, timbre pur et qui porte loin, infaillible techniquement et qui
fait de la musique sur toute la tessiture et dans toutes les intensités.
On n'aurait pas forcément parié sur elle, mais elle balaie toute critique,
comme l'a prouvé l'ovation du public au salut final. Sa mort est d'une
grande intensité émotionnelle, toute en nuances, en decrescendo, avant que
sur le O Gioia final, elle s'écroule comme un minuscule oiseau foudroyé,
parmi les détritus de la fête, objet de rebut, consommé et jeté comme les
fleurs fanés et les restes du festin.
Le magnifique Alfredo de Jonas Kaufmann
Formidable ovation aussi pour Jonas Kaufmann, Alfredo à la voix riche,
large, généreuse, musicien d'exception et comédien hors pair. Marthaler l'a
voulu décalé par rapport aux autres hommes de son monde, un Alfredo timide,
maladroit à l'extrême, touchant, fragile, agité, mais devenu un autre homme,
un vrai, à l'ultime tableau, après les épreuves initiatiques du duel et du
voyage à l'étranger.
On comprend mieux ses emportements, sa fougue mal contrôlée, ses
maladresses, ses remords, son amour insensé. Kaufmann joue toujours vrai,
comme pourrait le faire un grand acteur de théâtre ou de cinéma. Il est même
totalement naturel en entamant son air du deuxième acte allongé sous la
tondeuse à gazon qu'il tente de réparer. Un figurant vient quand même assez
vite le remplacer, mais le suspense demeure
La tondeuse sera-t-elle réparée avant la fin de la série de représentations
? Kaufmann a en outre le physique idéal de l'emploi.
Musicalement et scéniquement, il forme avec Schäfer un couple d'opéra comme
on en rencontre peu, générateur d'une immense émotion. Et quelle
satisfaction d'entendre des chanteurs qui ne donnent jamais l'impression
d'être aux limites de leurs moyens mais d'avoir au contraire en réserve ce
qu'il faut de souffle et de puissance quand la musique le demande et non
quand bon leur semble.
Il y aurait encore beaucoup à dire, à raconter, sur cet extraordinaire
spectacle dont les défauts mettent en quelque sorte les qualités encore
mieux en évidence. Les autres rôles sont fort bien tenus, mais on évitera de
parler du Germont de José van Dam. Pour les plus grands chanteurs, quand il
ne reste que la technique, mieux vaut oublier le présent, garder ses
souvenirs et surtout le respect.
Et puis, comme toujours, quand un spectacle d'opéra tient la route et touche
en profondeur, même avec une oeuvre cent fois entendue et cent fois vue,
c'est qu'officie un chef qui a su maintenir le cap. La direction de Sylvain
Cambreling est en tous points magnifique, d'intelligence, de théâtralité, en
osmose avec les intentions du metteur en scène.
Avec lui non plus, aucun clinquant inutile, aucun effet factice. Il fait
respirer l'orchestre du même souffle que les chanteurs, retient l'émotion
sur le fil d'un pianissimo, souligne telle brève agression un peu cruelle
des cuivres. Comme pour l'ensemble de ce spectacle, on se situe en dehors de
toute tradition, mais on crée de nouvelles références, on ouvre de nouvelles
voies, que l'on ne pourra plus guère ignorer et qui pourraient bien fournir
à l'opéra sa vraie sinon sa seule chance de survie dans la civilisation du
XXIe siècle.
Les amateurs de musique instrumentale ont bien découvert sous un jour
nouveau tout un répertoire relu par les grands chefs et les grands solistes
de la seconde moitié du XXe siècle, sans parler du monde de la musique
baroque. Pourquoi le répertoire d'opéra devrait-il s'en tenir pour toujours
à une immuable tradition, si glorieux qu'aient été ceux qui l'ont fondée ? |
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