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Libération.fr, 3 juillet 2007 |
éric DAHAN |
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier,
06/16/2007 - et 19, 24, 27, 30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
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La Traviata en triste «Môme»
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Opéra. Christoph Marthaler
transforme l’héroïne de Dumas et Verdi en Piaf à Garnier. |
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On connaît le Suisse Marthaler, son obsession du
kitsch est-européen figé, des saynètes grinçantes dont le comique naît de la
répétition ou de l’irruption du trivial dans la «grâce». On a aimé sa Katia
Kabanowa à Salzbourg, passée par Garnier, moins ses Noces de Figaro
également à Salzbourg puis Paris, mais pas détesté son spectacle à partir de
lieder de Schubert délibérément massacrés par des chanteurs non lyriques, à
Nanterre.
Blafarde. Pou r la Traviata, Marthaler a travaillé, comme tous les metteurs
en scène invités à l’Opéra de Paris, avec son directeur Gérard Mortier, qui
ne se cache pas de son implication créative dans les productions qu’il
commande. Après avoir introduit l’incrustation vidéo en temps réél sur la
scène de Garnier (quelques semaines après la Pietra del Paragone du
Châtelet), et métamorphosé Elina Makropoulos en Norma Desmond qui aurait
joué dans King Kong et serait devenue Marilyn Monroe à Bastille, il
transforme l’héroïne de Dumas et Verdi en Môme Piaf.
Si l’option est courageuse, et sans doute animée d’une sincère envie de
faire partager l’opéra au plus grand nombre, on peut discuter le résultat.
Hormis certaines chorégraphies «déglingue» trop prévisibles, le travail de
Marthaler, dans un décor unique de vieille salle des fêtes blafarde avec
scène, permettant une vraie agonie d’actrice-chanteuse, est cohérent, tant
sur la gestion de l’espace que dans le travail du geste de l’acteur,
parfaitement traduit par Christine Schäfer en tête.
L’orchestre sonne riche et coloré, même si les attaques des cordes, staccato
ou pizzicato, sont rarement simultanées. Moins sec ou raide qu’attendu,
Sylvain Cambreling doit, manque de chance, composer avec un chœur en roue
libre sur la métrique.
Art de la nuance. Vocalement, hormis José Van Dam en Germont père,
compensant par son charisme un timbre en lambeaux, la surprise de Schäfer en
Traviata n’est pas si mauvaise, avec des graves intéressants, un petit aigu
certes en danger à partir du ré, et un legato plus straussien que verdien,
qui s’échauffe tandis que les attaques gagnent en mordant.
La soprano, avec ses limites en termes de projection, déploie même un art
de la nuance consommé aux côtés de l’Alfredo Germont rayonnant de Jonas
Kaufmann, timbre d’or, émission coulée, aigu épanoui, legato élégiaque.
On ne sort pas moins frustré de cette Traviata téléportée entre Paris et
Berlin-Est, à laquelle manque ce sourire bel cantiste dans les plis de la
morbidezza vériste, cette volupté vénéneuse du sexe, du sang et de la mort
mêlés, que les colonnes de néon descendant du plafond comme au Studio 54 ne
suffisent pas à évoquer. |
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