ResMusica
Bernard Halter
Mozart: La clemenza di Tito, Zurich Opernhaus 04/24/2005 - et les 26*, 28 avril et 18, 22, 24 et 26 juin 2005
Pouvoir ou ne pas pouvoir...  
Ouvrage surprenant que ce dernier opera seria légué par Mozart et dont la création se tint à Prague trois mois avant sa mort prématurée. Œuvre de commande pour célébrer le couronnement de l’empereur Leopold II, la Clemenza de Tito met en scène un monarque sans réelle autorité, trahi de toutes parts, et qui fait preuve d’une indéfectible mansuétude à l’égard de celles et ceux qui ourdissent des complots et des coups d’état contre lui. Du coup, le livret met en évidence les liens complexes qui régissent les relations se tissant dans l’entourage direct de Titus, mais sans pour autant induire beaucoup d’action : Vitelia brigue le trône et corrompt le fidèle Sesto pour que celui-ci fasse un coup d’état. Une fois celui-ci perpétré, la ville est en cendres, mais cela ne conduit pas pour autant Titus à la vengeance. Il pardonne au surplus sans comprendre les raisons de la trahison de Sesto, jadis si fidèle. Annio aime Servilia, que l’Empereur compte épouser en seconde noce. Il finira là aussi par se mettre en retrait et renoncera à cet amour –certes d’apparat– pour ne pas briser des liens préexistants. Quelle que soit l’approche de la psychologie de Titus, cette dernière révèle un être animé par une vision illuminée et irresponsable, candide aussi. Titus est un souverain improbable et sur la retenue chaque fois qu’il s’agit pour lui de faire valoir le pouvoir qui est le sien. Sa seule préoccupation semble être de glaner les faveurs de son peuple par sa présumée bonté, malgré les périls qui guettent son empire.

La dramaturgie de cette pièce est dès lors des plus ambiguës. Alors que les trahisons et les enjeux laissent présager maints rebondissements, l’action retombe toujours subséquemment à la magnanimité du monarque. Il ne nous reste plus qu’à être spectateur de ses choix ou plutôt de son absence de choix. Jonathan Miller, qui signe la mise en scène de cet opéra, fait évoluer cette pseudo-action dans un décor unique fait d’une tour de château flanquée d’un escalier hélicoïdal. Ladite tour tourne sur elle-même, à l’image du pouvoir qui, à force de ne pas s’affirmer, est aussi vain que ce mouvement circulaire. Le minimalisme, non pas des décors, mais du reste de la scénographie finit toutefois par lasser quelque peu. Un simulacre d’action qui a pour mérite, peut-être, de faire miroir au simulacre de pouvoir exercé par Titus. Du point de vue des costumes, tout le monde se balade en complet ou en habits militaires contemporains avec une élégance soutenue qui tend à montrer la distance réelle existant entre les enjeux liés à l’exercice du pouvoir et les préoccupations lointaines d’un peuple que l’on ne peut que deviner.

Musicalement, Mozart signe une partition d’une grande richesse, qu’il dote d’un orchestre copieux mettant en exergue les vents et notamment la clarinette basse et le cor de basset, ceux-ci accompagnant, par exemple, de traits très virtuoses Vitelia dans son grand air du deuxième acte. Le cor naturel jette pour sa part des salves de notes piquées et impétueuses comme pour railler le pouvoir chaque fois que Titus apparaît. Vocalement, beaucoup de très beaux ensembles sont confiés au plateau essentiellement formé de voix de femmes, notamment pour certains rôles masculins de la pièce.

Dans cette production zurichoise, on retrouve quelques noms qui font les beaux jours de l’institution suisse alémanique : Eva Mei campe une Vitelia agile et très sûre avec une certaine italianité qui ne dépareille pas. Vesselina Kasarova séduit par son aplomb sans failles dans le rôle de Sesto qu’elle sait rendre avec conviction. Toute l’étendue de son ambitus est parfaitement homogène et se colore agréablement, au service de l’expression. Servilia (Malin Hartelius), tout comme Annio (Liliana Nikiteanu) façonnent leurs rôles avec beaucoup d’élégance et par le truchement de voix fort belles. Günther Groissbock est un Publio superbe, tout en velours et dans un legato que rien n’altère jamais. Le rôle-titre est tenu par Jonas Kaufmann dont le timbre légèrement barytonant par moment souligne de fort belle manière l’indécision du monarque.

Franz Welser-Möst dirige l’orchestre de l’opéra avec beaucoup de verve et de nuances, dans des couleurs nourries et franches tout en ménageant une belle souplesse à l’ensemble qui s’écoule ainsi avec fluidité. Un mot encore pour saluer l’excellente prestation du chœur, en tous points irréprochable.






 
 
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