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Nicolas Blanmont
Berlioz : La Damnation de Faust, Geneva Grand Théâtre juin 2003
Van Dam retrouve Méphisto
"La Damnation de Faust" au Grand Théâtre de Genève.Deux Belges en tête d'affiche, Patrick Davin... et une mise en scène qui provoque mais sait aussi faire sens.

Ce n'est pas par hasard que Berlioz a finalement donné à sa "Damnation de Faust" l'appellation de "légende dramatique" et non d'opéra, et que l'oeuvre est presque aussi souvent donnée en forme concertante qu'en version scénique: la réputation d'ouvrage impossible à monter n'est pas usurpée, et chaque production vient rappeler à quel point il est difficile de trouver une cohérence dramatique à cette suite de tableaux disparates.

Entre l'intimiste et le grandiloquent, entre le kitsch et le figuratif, les écueils sont nombreux.

Cinématographique
Pour sa nouvelle production, le Grand Théâtre de Genève a fait appel à l'auteur et metteur en scène Olivier Py, qui avait déjà fait sensation voici quelques mois sur les bords du lac avec des "Contes d'Hoffmann" quelque peu provocateurs. Sans surprise, le scandale est à nouveau au rendez-vous pour cette "Damnation": tout en étant marquée par une grande intelligence, la lecture du Français tombe en effet plus d'une fois dans l'excès à force de vouloir à tout prix aligner des images fortes. Son travail porte moins sur la direction d'acteurs et la caractérisation des personnages, brossés ici à gros traits, que sur l'articulation et l'illustration des scènes chorales et instrumentales: les airs solistes apparaissent ainsi comme autant de respirations bienvenues dans une mise en scène extrêmement spectaculaire, souvent plus cinématographique que théâtrale.

Parfois gratuite, la provocation peut être également porteuse de sens: ainsi, ce n'est pas sans logique que le chant de la fête de Pâques au début de la deuxième partie est amené par une crucifixion représentée sur la célèbre marche hongroise, car on crée ainsi une transition entre deux scènes que rien, sinon, ne relie (Berlioz avouait lui- même n'avoir situé son premier tableau dans une plaine de Hongrie que pour le plaisir d'y faire entendre une musique typique).

Mais si une partie du public proteste, parfois non sans humour (on entend crier "de Py en Py"), c'est qu'à l'image du Christ - nu - se surimprime celle de Saint-Sébastien, l'ensemble de la mise en scène étant connoté d'une très militante esthétique gay pride.

Van Dam en drag queen
A l'évidente dimension religieuse du livret, Py mêle tout au long du spectacle l'aspect sexuel: la chanson de Brander et le "Requiescat" qui suit sont dansés par des hommes en tutu, Méphisto (qui apparaît comme un mélange entre Nicholson dans "Batman" et Mastroianni dans "Ginger et Fred") chante l'air de la puce avec perruque et robe de vieux travesti, Marguerite est une vierge à l'esthétique gothique que l'on voit en plein infanticide (c'est chez Goethe, mais pas chez Berlioz qui n'a gardé que le parricide) et, on l'aura compris, le pandémonium final est tout sauf un ballet d'enfants de choeurs.

Dans ce foisonnement qui rend à tout le moins justice à la dimension baroque (au sens non musical du terme) de l'oeuvre, la musique garde ses droits. Patrick Davin conduit l'Orchestre de la Suisse Romande et les choeurs avec une impressionnante maîtrise, mais aussi avec un lyrisme très abouti. José Van Dam reste un Méphistophélès superbe par sa présence et son raffinement (magnifique legato), même si le grave s'efface peu à peu.

Egalement sur le plateau, la très solide Marguerite de Katarina Karneus, et surtout l'extraordinaire Faust de Jonas Kaufmann, qui a encore bonifié depuis sa prise de rôle à la Monnaie voici un an: peu sont capables aujourd'hui d'assurer ce rôle avec ce mélange d'aisance, d'élégance et d'assurance.






 
 
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