Opéra Magazine, Décembre 2010
Richard Martet
Référence - Le Werther de tous les superlatifs
Filmé à l'Opéra National de Paris par son maître d'oeuvre, le cinéaste Benoît Jacquot, ce Werther se hisse au premier rang de la vidéographie du chef-d'oeuvre de Massenet, servi par une distribution de rêve et un chef sans rival dans ce répertoire. Un événement, un vrai !

M'étant exprimé à la première personne dans le compte rendu de ce Werther donné à l'Opéra National de Paris, en janvier et février dernier (voir O. M. n° 49 p. 67 de mars 2010), je continuerai à le faire, contrairement aux usages, dans mon appréciation du DVD tout juste paru chez Decca.

Tout en saluant le caractère exceptionnel de ce spectacle, j'avais à l'époque formulé des réserves sur la conception à mon goût excessivement intellectualisée, pensée, calibrée de Jonas Kaufmann, et sur les tempi étirés à l'extrême de Michel Plasson dans les deux premiers actes. Après avoir regardé le DVD, je maintiens que « d nature, pleine de grâce » me paraît toujours trop lent, tout comme le duo «du clair de lune », que « d spectacle idéal d'amour et d'innocence » manque de flamme et que «J'aurais sur ma poitrine » n'est pas suffisamment haletant, chef et ténor en portant de concert la responsabilité.

Sauf que nous sommes, cette fois, en présence d'un film, ce qui modifie complètement la perspective. Dès l'entrée de Werther, les gros plans, révélant les moindres changements d'expression du visage de Jonas Kaufmann, donnent une signification à ce qui, pour moi, frôlait presque le contresens. Il m'est dès lors beaucoup plus facile d'adhérer à cette vision du personnage, surtout que le physique du ténor munichois correspond idéalement à celui du héros romantique allemand (on songe à Hoffmann !) et que son chant, à la condition d'aimer une voix aussi sombre dans Werther (ce qui est mon cas), sonne aussi 'somptueux que dans la salle. Les gros plans accomplissent encore des miracles au dernier acte. Du rang 16 de l'Opéra Bastille, je distinguais deux silhouettes allongées sur le sol, au pied d'un lit. Installé dans le canapé de mon salon, j'ai découvert un fascinant huis clos, baignant dans une lumière tamisée, avec deux interprètes tellement investis dans l'intensité du moment que j'en ai eu les larmes aux yeux. Grâce au DVD, j'ai pu ainsi prendre la mesure de l'exceptionnelle qualité de la direction d'acteurs de Benoît Jacquot, réglée au millimètre, et j'ai enfin ressenti l'émotion qui m'avait tant manqué au théâtre. Au passage, j'ai réalisé l'atout que pouvait représenter la présence d'un authentique cinéaste à la réalisation et au montage (le livret d'accompagnement n'en précise pas les conditions, se bornant à signaler: « filmé en janvier 2010 à l'Opéra Bastille»). Mobile et virtuose, mais sans jamais donner le tournis, la caméra de Benoît Jacquot - qui a tenu à immortaliser lui-même sa mise en scène, avec le concours de Louise Narboni - apporte une intensité incroyable à un spectacle qui, depuis la salle, captivait moins. Lutilisation de la partie du plateau non visible des spectateurs donne une continuité «cinématographique» à l'action, la variété des cadrages et des angles de prise de vue, les effets de contre-jour, créant, à l'acte III, un climat envoûtant, presque bergmanien.

Tous les chanteurs, déjà exceptionnels en eux-mêmes et d'une qualité de diction incomparable, bénéficient de ce travail d'orfèvre, Anne-Catherine Gillet (un pur enchantement!), Ludovic Tézier et Alain Vernhes y gagnent encore en crédibilité, à l'instar d'une Sophie Koch d'une aisance absolue sur toute l'étendue de la tessiture, et d'un engagement vocal et dramatique farouche.

Michel Plasson tirant d'un Orchestre de l'Opéra dans une forme transcendante des sonorités enivrantes, vous aurez compris que ce Werther est un miracle, comme le marché de la vidéo nous en a très peu réservé depuis dix ans. La fin de l'acte III est même, à mon avis, historique, avec un « Lied d'Ossian » d'une force concentrée absolument dévastatrice et un ultime «Je t'aime », dans le duo qui suit, lancé avec une violence sidérante, au sens premier du terme.
L'opéra à son sommet, et un DVD qu'on ne se lassera jamais de regarder et d'écouter.
 






 
 
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