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Classique News, 23 mars 2013 |
par Ernst Van Bek |
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Wagner: La Walkyrie (Gergiev, 2011-2012)
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Plutôt
que le volcan des enfers, Valery Gergiev convoque ici l'ombre dévorante du
désespoir qui façonne deux profils immensément humains, c'est à dire
bouleversants: Siegmund et Brunnhilde. Le premier a bouleversé la seconde:
un pur sentiment de compassion s'écoule ici, avec un tact et une direction
parfois murmurée qui captive par sa fièvre dramatique toute intérieure,
jamais démonstrative. Le chef obtient de ses troupes du Mariinsky des lueurs
ténues, des nuances d'une exceptionnelle justesse : tempos ralentis,
baguette feutrée... et si le lion russe avait découvert un Wagner
passionnément intimiste ? Belle découverte pour l'année du centenaire et
aussi superbe approfondissement pour le travail de l'interprète qui n'a
jamais semblé mieux ému et touché par la grâce wagnérienne, son mystère
musical et sa profonde sincérité. L'on ne pouvait rêver théâtre plus
investi, plus suggestif. En rien tapageur. La surprise est de taille et
compose l'un des apports majeurs de cette année Wagner 2013...
Le Wagner intimiste et âpre de Gergiev
Dans la veine
du Parsifal (2010), d'une étonnante carrure dramatique, déjà distingué par
classiquenews, cette Walkyrie relève le défi de ses promesses et témoigne
d'abord du wagnérisme à la fois tendre, âpre, sec et contenu de Gergiev.
Enregistré en plusieurs sessions en 2011 et 2012 (pas facile de réunir une
telle affiche dans la continuité d'un enregistrement), la lecture
profite évidemment de l'immense Siegmund du ténor Jonas Kaufmann: il est un
Lohengrin racé, au métal sombre et barytonant (une carrière à la Domingo
s'annonce-t-elle ?), Kaufmann fait un Siegmund grave, chant lugubre et
ullulant en ses éclairs maudits, révélant un être décalé, solitaire, à bout
de souffle et pourtant d'une intense ferveur intérieure, à la fois fervent
et désespéré : le héros idéal de Wagner. Le père de Siegfried, l'élu et
vainqueur de Wotan, s'incarne ici en un chant d'une humanité infinie d'une
suavité fauve.
On l'attendait déjà annoncé dans un disque
Decca où sa vérité saisissait littéralement (il est vrai sous la direction
alors de Claudio Abbado !). Voici donc en grand format et de façon intégrale
son Siegmund, étoile au firmament de l'acte I de La Walkyrie. L'incarnation
tient du prodige. Electisée par le feu de Kaufmann, la Sieglinde d'Anja
Kampe ne démérite pas même si l'on regrette une certaine froideur tendue
dans ce chant toujours trop maîtrisé.
La prise favorise
l'introspection musicale et trouve toujours une balance parfaite entre voix
et orchestre. Au début du drame, deux voix s'embrasent dans la nuit de leur
amour incestueux : Siegmund et Sieglinde. Au crépuscule de l'opéra le plus
humain et éperdument amoureux de toute la Tétralogie, deux autres âmes
s'enflamment non sans douleur ; partageant avec Verdi, cette relation
exacerbée, sujette à bien des épreuves, un père doit renoncer à sa fille
favorite : Wotan perd Brünnhilde. Les adieux du souverain sont là encore
déchirant d'humanité : un dieu s'efface sous le poids de son déchirement
filial : et Wotan ne sera plus jamais le même : en se dépossédant de sa
chair et de l'amour pur, il devient Wanderer, l'ombre de ce qu'il a été ;
nouvelle effigie dérisoire dont René Pape exprime la destruction intérieure
avec une noblesse d'intonation inouïe. Face à lui, la chair palpitante de
Nina Stemme, elle aussi wagnérienne plus passionnée que subtile, lui donne
la réplique... déchirante, parfois un rien épaisse mais si justement
incarnée; magnifiquement articulé et très extatique, Gerviev nous réserve
une Walkyrie chambriste, épurée, proche d'un oratorio (avec ce souci du
théâtre intime comme celui hier d'un Karajan). Cet éclairage ne souligne que
mieux le désespoir d'une vision qui frappe outre le luxe de son plateau
vocal, par son désespoir inéluctable.
Entre les deux couples et les
deux scènes qui se répondent d'une extrémité à l'autre, le Hunding de
Mikhail Petrenko comme la Fricka (très assurée de la jeune Ekaterina
Gubanova), l'épouse despotique de Wotan et la gardienne de la loi,
s'affirment également par la finesse du style et une musicalité qui fait
corps avec celle des autres. Belle cohérence.
Wagner: Die
Walküre, La Walkyrie. Nina Stemme, Anja Kampe, Ekaterina Gubanova, René
Pape, Jonas Kaufmann, Mikhail Petrenko. Orchestre Symphonique du Théâtre
Mariinsky. Valery Gergiev, direction. 4 cd SACD Mariinsky. Enregistré en
2011 et 2012.
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