Voilà
un disque qui satisfait là où on ne l’attendait pas. Wagnérien, Jonas
Kaufmann l’est assurément, comme le prouvèrent ses incarnations notoires de
Parsifal et Lohengrin. Mais le passage de la scène au studio s’accompagne
d’une baisse de régime à courte vue qui ne leur fait guère honneur. Si
l’impact du ténor est impressionnant dans les « Wälse ! » de Siegmund (Die
Walküre), par exemple, si les harmoniques graves en sont riches, la voix
prend des colorations disgracieuses qu’à la scène elle n’a pas. Au fil des
six airs choisis, l’artiste nasalise systématiquement les passages plus
fermes et fait un sort à chaque mot, ce qui caricature les intentions
musicales dont il fragmente le flux vocal. L’expressivité en ressort forcée,
jusqu’à la vulgarité parfois (le récit de Rome de Tannhäuser).
Sur-prononciation du texte et durcissement du timbre (Die Meistersinger von
Nürnberg), chant crument artificiel (Rienzi), mise en vitrine du
savoir-faire (Lohengrin), aigus acides et coups de glotte véristes
(Tannhäuser) sont autant de bizarreries que la sensibilité bienvenue du «
scintillement » littéral (Die Walküre) et l’exquise tendresse de l’évocation
de la mère (Siegfried) ne suffisent pas à faire oublier. Au mieux, nous
sommes dans un salon de musique, certes fort luxueux, mais sans plus.
Et soudain, tout s’éclaire : cet enregistrement des Wesendonck Lieder –
que l’on entend si rarement par des hommes – est tout simplement superbe !
En fin Liedersinger, Jonas Kaufmann mène délicatement la ligne de Der Engel,
sans aucune surcharge, cette fois. La nuance est confortablement conduite,
jusqu’à des voix mixtes qu’il ne se permet pas dans les airs – exquises ! Le
caractère plus dramatique de Stehe still ! fait ses choux gras du côté
autoritairement incisif de son timbre. Ici, intelligence du texte ne rime
plus avec sur-jeu. Chaleureuse, enveloppante, la voix se révèle encore
veloutée, tout en ménageant une « lumière brillante » vraiment « brillante
», dans un Im Treibhaus à ne pas oublier sur son île déserte. Étincelant
pour Schmerzen, le chant de Kaufmann élève Träume à des hauteurs
enchanteresses.
De la même façon, Donald Runnicles s’affirme
nettement plus inspiré dans les Lieder que dans les extraits d’opéras.
L’Écossais accompagne Der Engel d’un port un peu timide, mais très onctueux.
Son Stehe still ! est presque « de chambre », comme pour mieux amener les
demi-teintes d’Im Treibhaus. Avant un Träume ensorcelant, seul Schmerzen
manque de lyrisme. En revanche, si la pâte des cordes satisfait sur tout le
disque, l’Orchester der Deutschen Oper Berlin s’avère laborieux dans
Siegfried, avec un murmure de la forêt presque « comptable » ; la sonorité
n’y est pas dénuée d’une certaine « plasticité », les ingrédients sont de
qualité, mais le chef n’en fait pas grand-chose, contrairement à la prière
de Rienzi qui convainc plus, mais encore au bel impératif des cuivres qui
soulignent la réponde papale (Tannhäuser). Dans Meistersinger, le
violoncelle solo fait son effet dans une lecture non dénuée de relief.
On comprend mal qu’au baryton Markus Brück, presque méphitique, ait été
confiée la réplique de Wolfram (Tannhäuser) – moins encore celle d’Heinrich
der Vogler (Lohengrin)…
|