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Classica, mars 2013 |
Jérémie Rosseau |
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Jonas Kaufmann - Un ténor au Walhalla
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Chaque incarnation de Jonas Kaufmann se hisse d'emblée à un niveau historique. |

Jonas Kaufmann, ténor à la voix sombre, à la tenue de souffle et à
la puissance incroyables, est fêté sur toutes les grandes scènes d'opéra. Et
pour ne rien câcher, il a le physique idéal du héros.
Voilà,
comme on dit, un disque qui vient à point. De ceux qui confirment un statut
celui de ténor le plus doué du moment - et qui hissent encore un peu plus
haut l'intéressé dans l'Olympe du chant wagnérien, puisque c'est à nouveau
avec Wagner, au cour déjà de son récital Sehnsucht (cf. Classica n° 118),
que Kaufmann fait entendre sa somptueuse singularité. On le sait toutefois,
l'auteur de Tristan est loin d'être le seul horizon de l'artiste, car à la
scène, ses Werther, Cavaradossi et autre Don José règnent toujours sans
partage sur le paysage lyrique ; mais c'est ainsi, c'est en héros wagnérien
qu'on guette de plus en plus Jonas Kaufmann, tant chacune de ses
incarnations a su d'emblée se hisser à un niveau historique. Prudent, le
ténor allemand n'est pas homme à forcer le cours des choses: ainsi, après
une poignée de Parsifal en 2006 à Zürich, le Chaste Fol vient seulement de
revenir à son répertoire à New York, tandis que Lohengrin et Siegmund, deux
conquêtes plus récentes, apparaissent avec parcimonie dans son agenda ;
quant à Walther von Stolzing (Les Maîtres chanteurs de Nuremberg) radieuse
parenthèse dans le présent disque, l'unique incursion à Edinburgh en 2006
n'a débouché sur aucune prise de rôle : patience...
Ce tout Wagner
s'ouvre sur un Siegmund aux graves barytonnant, sombre à souhait, et culmine
sur des « Wälse » valeureux - non exempts par ailleurs d'une certaine
tension : en six petites minutes pourtant, quel portrait ! Face à Siegfried,
immédiatement le timbre s'allège, les mots bondissent, et avec eux une
jeunesse et un sourire instinctifs : un Siegfried trop poète et
intellectuel? Allons donc! Ces Murmures de la Forêt semblent jaillir de
scène, et on déplore que l'aventure s'arrête en si bon chemin : à quand la
suite ? Ouverte par un pianissimo céleste et drapée tout au long de sa
noblesse légitime, la prière de Rienzi expose longueur de souffle, aigus
tranchants, phrasés d'orfèvre, et, surtout, cette intelligence pénétrante du
texte qui, au-delà de l'évidence de la langue maternelle, semble avoir été
fouillé sous ses moindres éclairages. C'est ce qui fait aussi le prix d'un
Récit de Rome écorché et halluciné (Tannhäuser), où Kaufmann chante comme il
peindrait, maître d'une palette qu'il malaxe et renouvelle à l'envi. Le
Récit du Graal (Lohengrin) bien connu grâce à Sehnsucht et à plusieurs
captations (Munich, Bayreuth, Milan), se dévoile dans sa version complète,
supprimée par Wagner avant la création à Weimar en 1850: curiosité un rien
bavarde, elle permet au ténor de se confronter (sans rougir) à Franc VöIker
ou Sandor Konya, rares interprètes de ces couplets, mais n'apporte rien à sa
compréhension cultivée (sophistiquée ?) du rôle ni à l'ineffable beauté de
son interprétation. Puis, au lieu d'achever son programme par un possible
Tristan, d'inattendus Wesendonck Lieder concluent le disque, cycle féminin
qu'un Melchior ou un Goerne se sont approprié avant lui, et qu'il aborde
très naturellement, tant le ciseau du liedersänger et le souffle de la
caresse vocale illuminent les poèmes. Reste enfin que Kaufmann bénéficie de
merveilleux partenaires : précis, subtil, cohérent, sûr de lui dans un
répertoire qui constitue son pain quotidien, l'Orchestre du Deutsche Oper
Berlin murmure, brille, s'emporte, bref, noue avec son soliste un dialogue
perpétuellement fécond et dynamique : celui du théâtre et de la scène. Si
Donald Runnicles n'a ni le nom ni la gloire de ses célèbres voisins
berlinois, son métier, son geste et son intuition offrent à Jonas Kaufmann
l'écrin propice à ce rayonnement surnaturel.
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