Tribune de Genève, 25.09.2015
Par Rocco Zacheo
 
Jonas Kaufmann embrase Puccini
Voix parmi les plus célébrées dans le paysage lyrique, le ténor bavarois bouleverse une fois encore avec un album vibrant.
 
C’est un regard magnétique et profond, avec ce je-ne-sait-quoi de concupiscent; c’est aussi un physique de tombeur, svelte et athlétique, qui a la faculté de nous éloigner avec force de cet âge révolu, durant lequel des chanteurs empotés faisaient vibrer leurs cordes mais laissaient filer dans une jachère perpétuelle l’art du jeu. C’est enfin, et surtout, une voix d’une puissance et d’une élasticité renversante, dont l’amplitude et le timbre marquent depuis une décennie d’un fer rouge la planète musicale. Bref, Jonas Kaufmann cumule avec insolence les superlatifs au point de passer pour la plus belle chose qui soit arrivée au biotope de l’opéra. Appréciation dont on pourrait d’ailleurs mesurer l’ampleur en observant l’engouement quasi hystérique qui accompagne le Bavarois. Aujourd’hui, il n’y a pas une maison lyrique digne de ce nom qui ne l’ait pas mis à l’affiche. Tout le monde veut Jonas Kaufmann, le plus grand ténor en circulation. Et c’est ainsi que l’agenda de l’artiste s’est noirci à une vitesse phénoménale, dans toutes ces cases, jusqu’en… 2021. Vertiges!

Mais restons dans le présent. Entre récitals, participations aux festivals de l’été et aux grandes productions lyriques, le chanteur trouve le temps de graver régulièrement des albums, précédé et accompagnés eux aussi par une fièvre collective. Ce fut le cas avec Schubert (une Winterreise bluffante de justesse) ou, dans un registre plus léger, pour les airs de cabaret et d’opérettes du Berlin des années 1930 (Du bist die Welt für mich), pour ne citer que les plus récents. Aujourd’hui, nouvelle incursion dans les studios de Sony, avec un projet entièrement consacré à Puccini. Un compositeur qui lui va comme un costard cousu main. La richesse de l’univers dramaturgique et l’écriture musicale aux mille facettes de l’italien ne pouvaient alors qu’être magnifiées par l’interprète. Une promesse d’extase? Oui. Et elle est entièrement tenue par un Jonas Kaufmann qui touche ici, de tous ses doigts, une certaine vérité musicale.

De ce double album, on pourrait tirer une liste infinie des raisons qui le rendent incontournable. Limitons-nous à souligner tout d’abord la beauté du programme, qui équilibre savamment les masses en intégrant airs d’opéra tenant du tube (ceux de La Bohème ou de Manon Lescaut, notamment) et extraits d’œuvres beaucoup moins connues (Edgar, La Valli…). Evoquons aussi la touche considérable apportée par le chef Antonio Pappano, complice de longue date du chanteur. Avec son Accademia Nazionale di Santa Cecilia, il trace une voie délicate et sensible qui chemine avec harmonie aux côtés de la voix; la baguette guide et éclaire plus qu’elle n’accompagne l’avancée du ténor. Et il faut écouter la fusion musicale qui se dégage de «Non pianger Liù», par exemple, pour se dire que le chanteur a trouvé là, avec ce chef, une figure qui en exalte mieux que personne d’autre les facultés vocales.

Il y a enfin l’art de Kaufmann qui fait l’essentiel: une manière de laisser claquer le texte (quelle diction!), une façon de relever les défis les plus redoutables (il est stratosphérique dans Il Tabarro), une assurance dans les duos... un art qui déconcerte. Avec Puccini, le génie du ténor paraît donc décuplé. Sa technique, sa charge émotionnelle, la beauté sombre de son chant: Jonas Kaufmann est définitivement une voix à part.






 
 






 
 
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