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Actu-Juridique, 06/10/2020 |
Jean-Pierre Robert |
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L’Otello de Jonas Kaufmann
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Cette nouvelle version de l’Otellode Verdi voit la première
interprétation au disque du rôle-titre par Jonas Kaufmann. Cette
exécution est aussi la première à être enregistrée à Rome, en studio,
depuis celle effectuée dans les années 1960 par l’équipe légendaire
Vickers, Rysanek, Gobbi, Serafin, à laquelle la présente doit se
mesurer. Voilà une interprétation possédant de sérieux atouts. À
commencer par une lecture révélant au plus près la vérité dramatique
d’un opéra dont le ressort est somme toute assez simple : une tragédie
de jalousie sexuelle et de trahison imaginée, qui a inspiré à Verdi un
chef-d’œuvre de concision musicale. Le mérite en revient à Antonio
Pappano, nul doute un des meilleurs chefs de théâtre du moment. Le souci
de l’exactitude dans le chant, le refus de tout pathos confèrent à cette
exécution la vie même de la représentation. Car Pappano sait lâcher les
feux de l’enfer, déchaîner la fureur orchestrale. Mais aussi être mesuré
dans les confrontations, tels les duos diaboliques ou enflammés opposant
le Maure à Iago. La phrase caressée, on la trouve au premier duo entre
Otello et Desdemona, d’un extrême raffinement jusqu’à sa fin extatique.
De même, le début de l’acte III installe un contraste dynamique
saisissant entre ppppet éclat. Le vrai ensemble à multiples entrées,
comme le grand concertato qui termine cet acte, il le peaufine et le
terriblement complexe devient clair. Il conçoit l’acte IV intimiste,
depuis son prélude et le climat poignant qui s’établit lors des
monologues de Desdemona. Et que dire du fameux saut harmonique entre
violons pianissimo et traits sourds des contrebasses ouvrant la dernière
scène. D’un impact inouï, ce passage est un exemple parmi tant des
beautés de la partition. Pappano dispose avec son orchestre de
l’Accademia di Santa Cecilia d’un instrument on ne peut plus en
situation, dispensant cohésion et exemplaire facture musicale. Il en va
également des Chœurs, d’une présence palpable, digne d’une formation
opératique.
Quant à la distribution, le regard se focalise
d’abord sur le Maure de Jonas Kaufmann. Peu après sa prise de rôle à
Covent Garden et une autre production remarquée à Munich, cette
troisième rencontre avec un rôle chéri entre tous par tout ténor, est
une fière réussite. Outre une diction exemplaire, son incarnation ménage
les deux aspects du rôle, le héros, l’homme amoureux, la force vocale
mais aussi le raffinement et l’humanité du personnage fût-il sous
l’emprise de la plus vile machination. Au premier, appartient l’«
Esultate ! » du début, bien claironnant. Les grandes quintes aiguës à la
fin du duo avec Iago au IIe acte sont adornées de contre ut triomphants.
Le raffinement du chant au service du vrai de l’interprétation est un
des joyaux de cette lecture. Le monologue « Dio ! Mi potevi scagliar »
livre l’émotion de l’homme torturé, déchirement murmuré. L’évolution
psychologique du personnage, Kaufmann la possède déjà à ce stade de sa
propre histoire pourtant récente avec le rôle. À Iago, Carlos Álvarez
apporte un grain de baryton de belle facture et nulle trace de vindicte
histrion pour instaurer le moteur de ce caractère : l’envie. Une
certaine objectivité des choses à l’échelle humaine, à travers même
l’ironie. Le monologue « Credo » montre une morgue réelle et le premier
duo avec Otello insinue le doute avec doigté. Non que la faconde soit
absente, que couronnent de glorieux aigus. La Desdemona de Federica
Lombardi est une découverte : timbre séduisant, large, doté de la tinta
italienne. Dès son entrée au Ier acte ou lors du duo amoureux avec
Otello, on savoure un chant raffiné et des accents vrais. De même au
concertato de l’acte III où la voix plane sans effort sur un orchestre,
il est vrai d’une rare transparence. Rien d’affecté dans l’air du Saule,
doté d’un superbe fil de voix final, et à l’« Ave Maria » d’une grande
pureté, au ressenti bouleversant. Parmi les autres parties, on citera le
Cassio de Liparit Avetisyan, timbre lyrique aux aigus faciles. La
réussite de cette version, on la doit aussi à la technique
d’enregistrement alliant dynamique large, indéniable relief et
redoutable impact.
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