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Forum Opera, 12 Octobre 2015 |
Par Sonia Hossein-Pour |
Racoleur
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Le
caractère racoleur d'une affiche de film fait parfois oublier une
faiblesse du scénario ou du jeu des acteurs. Ce n’est pas le cas pour
cette captation de Manon Lescaut de Puccini mis en scène par Jonathan
Kent au Royal Opera House. Au centre de la couverture, sur un lit aux
draps rose acidulé, Kristine Opolais s’offre avec passion, la bouche
ouverte et les jambes écartées tandis que Jonas Kaufmann saisit sa
partenaire avec fougue… L’art du marketing est capable de faire des
miracles, mais sitôt l’objet consommé, on est loin d’être dupe.
Quelle ne doit pas être la déception de celui qui s'attend à voir une
mise en scène moderne et transgressive lorsqu'il découvre qu’il n’en est
absolument rien ! Oscillant sans cesse entre la retenue et une pseudo
exubérance, cette mise en scène aux allures de porno chic ne va pas au
bout de sa logique spectaculaire et laisse au spectateur un goût
d’inachevé. Jonathan Kent fait en outre partie de ces metteurs en scène
qui semblent penser que quelques iPad entre les mains des protagonistes
suffisent à faire la modernité d'un spectacle.
Par ses plans
rapprochés et américains, la captation souligne un manque patent de
crédibilité des acteurs. Manon et Des Grieux ont beau s’embrasser et se
faire des mamours à répétition, on ne croit pas un seul instant au
couple Opolais-Kaufmann. C’est que, au-delà de la question d'un parti
pris esthétique qui ne tient pas ses promesses, on en vient à oublier
que le personnage principal de l’opéra est Manon Lescaut. Alors que
Manon est un abîme de mystères et de contradictions, Kristine Opolais,
peu à l’aise et constamment sur son quant-à-soi, la réduit à un
personnage fade et minaudier. En réalité, tout l’édifice de cette
production repose sur le charisme et le jeu de Jonas Kaufmann, comme si
cela seul pouvait suffire.
Vocalement, la distribution est sans
surprise dominée par le ténor allemand qui, comme à son habitude,
excelle dans les rôles de héros romantiques. Mais dans cette production,
Il est difficile de savourer pleinement sa performance. Kristine Opolais
dispose d’un très beau timbre dans le médium et le haut médium mais le
registre aigu gagnerait largement à s’épanouir, sans parler des
registres bas-médium et grave qui restent inexistants et qui l’obligent
à beaucoup poitriner. Le reste du plateau demeure assez homogène : le
Lescaut du baryton Christopher Maltman est un peu déroutant en ceci
qu’il arbore presque toujours la même expression, quelles que soient les
émotions qui l'habitent, et il arrive que la voix passe difficilement
l’orchestre ; la basse Maurizio Muraro est un Géronte de Ravoir très
convaincant en souteneur libidineux et la clarté juvénile du ténor
Benjamin Hulett en fait un parfait Edmondo. L’étincelle nous vient de la
mezzo-soprano russe Nadezhda Karyazina dont le rôle trop court du
Musicien nous laisse peu de temps pour apprécier le timbre sublime et
sonore de la voix.
Antonio Pappano aime profondément la musique
de Puccini. C’est avec beaucoup d’émotion et d’une main de maître qu’il
dirige l’orchestre du Royal Opera House, parvenant assez magiquement à
faire de la masse orchestrale un personnage à part entière de l’œuvre.
Pour le reste, et pour s’émouvoir vraiment, sans affectation, sans
minauderie et avec la « classe des maîtres », on continuera de s’en
référer au Manon Lescaut de Domingo et Scotto.
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