Classique News
par Benjamin Ballifh
 
Diseur, chantre halluciné, solitaire enivré - Jonas Kaufmann chante l’espérance dans la mort
 
CD événement, annonce. GUSTAV MAHLER : Jonas Kaufmann chante les 6 lieder du Chant de la Terre (Der lied von der Erde) — 1 cd Sony classical (Vienne juin 2016). Incroyable gageure pourtant préparée depuis des décennies car il avait à coeur de réaliser ce marathon lyrique et symphonique depuis son adolescence : Jonas Kaufmann chante l’intégralité des lieder du Chant de la Terre, bouleversante fresque lyrique et orchestrale de Gustav Mahler, composée en une période très éprouvante pour la compositeur juif du début du XXè – le plus grand symphoniste germanique alors avec Richard Strauss. En témoignent les poèmes déchirants sur l’existence et la condition humaine que Mahler met en musique avec une frénésie extatique, à la fois symboliste et expressionniste ; partition majeure d’un auteur qui a perdu sa fille, apprend qu’il est viré de ses fonctions comme directeur de l’Opéra de Vienne (alors qu’il y menait une réforme inouïe, tant en terme de répertoire que de conditions nouvelles pour assister aux concerts symphoniques et aux opéras…), c’est aussi l’époque où Mahler, condamné, apprend qu’il est atteint d’un mal incurable aux poumons.

Endurant, audacieux, Jonas Kaufmann chante les parties de ténor évidemment mais aussi de mezzo/alto : lyrique et démonstrative, voire conquérantes pour les premières, plus introspectives voire amères et douloureuses pour les secondes. Sans affectation ni maniérisme, sachant surtout projeter et articuler le texte, – flux expressif qui cisèle la victoire du Destin et de la souffrance, et aussi la force qui permet de s’en libérer, les 5 poèmes associent à parts égales voix et orchestre, comme une discussion, un dialogue permanent, deux énergies graves et nostalgiques qui diffusent le désespoir le plus intense jamais exprimé. Chacun (Chanson à boire de la douleur de la terre, d’une ivresse conquérante / Le solitaire en automne, mélancolique et amère, pudique et tendre / De la jeunesse / De la beauté / L’homme ivre au printemps), conduit inéluctablement au grand souffle final de L’Adieu / Der Abschied, 6è lied, coloré grave et lugubre par sa marche funèbre, où en une métamorphose souhaitable pour tous, le chemin jalonné d’épreuves et de combats, s’achève / s’allège dans l’ultime renoncement au monde, un adieu serein, apaisé, d’où peut jaillir comme aime à l’envisager le ténor, une lueur d’espoir. La mort dans l’espérance. D’une intensité fauve, très proche du verbe incarné, cherchant et trouvant puis ciselant chaque nuance de la douleur sublimée, le ténor munichois distille son irrésistible éclat cuivré et incandescent avec cette intensité mâle, entre râle et chant halluciné. C’est un diseur doué d’une puissance d’intonation réelle, qui cependant ne sacrifie jamais la nuance du mot, capable comme à son habitude d’exprimer et l’activité souterraine du texte, et les milles couleurs des intentions qui y sont contenues. Der Abschied / L’Adieu, fait valoir ainsi le chant à la fois délirant, précis, halluciné mais mesuré du maître chanteur, comme le travail instrumental de grande précision et belle expressivité du chef Jonathan Nott (acuité mordante des bois, en fusion totale avec la voix du ténor), vibrant et sensible copilote de cette aventure magistrale où pèse aussi l’expérience saisissante des instrumentistes du Philharmonique de Vienne. Car ici le chambrisme rarement réussi du caquetage miroitant des hanches (clarinettes…) doit murmurer, respirer avec la voix démunie, mise à nu, comme embaumée dans son ascension finale, par le doux rêve du célesta et de la mandoline (apothéose ultime), quand le ténor répète à plusieurs reprise “Ewig, ewig…“/ éternellement, éternellement… Magistrale entente des interprètes dans un disque saisissant qui nous rappelle avant son probable immense Otello verdien à venir bientôt à Londres (juin et juillet 2017 : voir les rôles à venir), que Jonas Kaufmann est bel et bien le plus grand ténor actuel. Grande critique à venir sur classiquenews, le jour de parution du disque Mahler par Jonas Kaufmann, le 7 avril 2017.





 
 






 
 
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