Classica, septembre 2011
Pierre Flinols
Beethoven, Fidelio (4 von 4 Sterne)
 
Malgré l'affiche de tout premier plan que seul un Festival comme Lucerne peut aujourd'hui proposer, et qu'une Major ne peut plus rassembler en studio, il y a plein de faiblesses - mineures, mais objectives - dans la distribution de cette nouvelle intégrale de Fidelio : le Rocco de Christof Fischesser manque de profondeur et d'ombre, la jolie Marzelline de Rachel Harnisch n'est que bonne, l'imposant Pizarro de Falk Struckmann est bien usé, et Nina Stemme ellemême peine à dominer l'impossible tessiture de Leonore dans un Abscheulicher négocié avec prudence, alors qu'on attendait une leçon vocale absolue de cette Isolde née, qui, à l'acte n, imposera des aigus riants magnifiques - mais a-ton vraiment interprétation globale parfaite en ce rôle? Face à eux, Peter Mattei et Christoph Strehl font figure de perfection, et Jonas Kaufmann s'impose comme une étoile absolue, dont le Gott initial, prodigieux crescendo, est pure magie, et dont la présence sombre, mâle et vaillante est ce qu'on a entendu de plus beau en Florestan depuis James King pour mener l'ensemble final à une beauté sidérante - avec l'Arnold Schoenberg en magnificence, comme déjà au premier acte. Un Fidelio de plus donc, un peu inégal? Et bien non, car faiblesses et merveilles s'intègrent dans l'une des plus admirables directions qu'on puisse imaginer pour le patchwork stylistique que demeurera à jamais l'opéra de Beethoven. Et son signataire, c'est un Claudio Abbado magistral gistral une fois de plus. L'ouverture s'impose immédiatement dans une urgence poétique et dramatique rare, un chant d'orchestre au détail passionnant. Le délié de la phrase, sa vivacité, sa clarté aussi s'imposent alors pour le style singspiel du début de l'oeuvre, où la fluidité parfois virevoltante des instruments, qu'Abbado n'hésite pas à solliciter au maximum en certains tempi ultra-rapides, fait merveille. Insensiblement (et c'est là l'un des bonheurs de ce concert), on passe cependant du Beethoven délicat émule de Mozart au Beethoven le plus engagé, avec un acte ii bien entendu majeur: on n'aura pas l'ivresse apollinienne d'un Berlin sous Karajan, ni l'enchantement dionysiaque de Vienne ou de Munich sous Bernstein ou Böhm, non plus que le vertige marmoréen d'un Philharmonia avec Klemperer.

C'est une autre chose, d'une grande humanité avant tout, que la baguette d'Abbado suscite pleinement Pas d'emportement, pas de théâtralité un peu forcée (on a remanié les dialogues au maximum, et le concert était simplement semistaged, ce qui ne messied en rien à cette version façon oratorio, qui convient toujours au disque audio), mais une émotion de l'instant qui monte peu à peu, et qui fait ces grandes soirées au temps suspendu, à l'émotion vive, où détail instrumental et vocal se fondent en un tout, quasi-onirique, et parfaitement cohérent. D'où un discours rare et nouveau tout à la fois. On ne cherchera donc pas forcément ici une référence discographique de plus, car de fait ce n'est pas tout à fait l'opéra Fidelio qui est ici vraiment proposé, mais un moment de bonheur profond à partager. Et c'est heureux tant c'est rare.
 






 
 
  www.jkaufmann.info back top