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Classica, septembre 2014 |
par André Tubeuf |
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Salzbourg honore Verdi
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Pour
le bicentenaire de la naissance de Verdi, le Festival de Salzbourg a
rendu hommage au compositeur italien en proposant « Don Carlo », opéra
servi par une distribution de rêve et porté par la voix de Jonas
Kaufmann.
Version sans nulle authenticité, avec Fontainebleau
mais en italien, comportant les deux strophes de l'adieu de la Reine à
sa dame d'honneur, l'échange des voiles avec Eboli, le Lamento du Roi et
de l'Infant sur Posa assassiné, avec tout ce qu'il faut de continuité et
d'explicitations pour un ouvrage aussi développé, où les duos (trois
fois Carlo/la Reine, l'affrontement Roi/Posa) sont si essentiels pas
seulement à l'action, mais à son équilibre dramatique. Le travail de
Peter Stein ici est parfait. Les conflits (les personnels, les
politiques) sont mis en situation, et même en évidence, les motivations
explicites ; la main de fer de l'étiquette se sent, qui exige tels
mouvements, tels renoncements ; le devoir passionnément assumé chez la
Reine ; l'agita- tion chez l'Infant, caractérielle ; autant qu'il peut
rester de Schiller dans un opéra de Verdi est là, pas l'enthousiasme
seulement, les idées. Mieux : les interprètes suivent, nous offrant une
assez sublime pièce de théâtre, action dramatique chantée, tendue,
intégrant pourtant les servitudes propres au genre (et c'est ici le
grand genre : la Grande Boutique, à l'origine : autodafé, bal costumé
etc.). La qualité musicale suprême est assurée par Pappano brassant sa
musique à mains nues, nuançant, modelant, et des Philharmoniker de rêve
(pas le violoncelle solo seulement). Mais seuls les rappels de la fin
font mesurer la quantité de beau monde qu'un Don Carlo a à réunir.
Il y a des hauts et des bas, évidemment, clairement la grande
sonorité lyrique que veut le Roi est hors de portée du Salminen
d'aujourd'hui, mais quel personnage ! Hampson peut se souvenir, lui,
d'avoir été Posa pour ce même Pappano au Châtelet, il y a un quart de
siècle. Mais quelle tenue de ligne, quel legato sensible, aristocratique
dans Per me giunto ! Jamais avec une Slave on ne fera une Eboli
parfaite, la désinvolture de la Canzone del velo n'y sera pas, tels mots
seront écrasés façon vériste : mais l'opulence de timbre et la franchise
d'aigus font tout pardonner à la Semenchuk. Dix-huit mois après une
phénoménale reprise à Munich, aussi bien Harteros que Kaufmann ont
changé. Du velours est parti chez elle, lamorbidezza ne se retrouve
qu'au plus attendri des duos (et là c'est magique), la vibration est
plus large, avec des duretés, c'est un rien haut plus d'une fois, et
c'est de bout en bout sublime : pas un chant seulement, mais un
personnage, un caractère, un regard, comme l'opéra aujourd'hui n'en
montre plus guère. Lui est minci, creusé, la voix aussi, mais dans les
maigreurs l'intensité flamboie, émaciée, ardente et le visage, le jeu,
la mobilité de l'humeur imposent un héros de théâtre complet, très loin
d'être simplement ténor. L'image est sublime, avec des gros plans, des
regards, une grâce vivante, des bonheurs d'expression qui reportent au
DVD le meilleur du choc théâtral. Avec les indispensables aléas d'une
aussi colossale entreprise, un must absolu, et pas sur un effet de mode
: qui fera de l'usage.
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