Diapason, juillet 2014
Emmanuel Dupuy
 
Don Carlo
Diapason d'or
Le voici enfin ce luxueux Don Carlo que l'on vit l'an dernier au Festival de Salzbourg. Capté de façon un rien académique hélas, mais sans ternir la beauté du spectacle de Stein. C'est du texte et de lui seul que ce théâtre tire sa grâce physique, autant que sa force visuelle, son évidence psychologique ou sa portée politique.

Pour le metteur en scène et son décorateur Ferdinand Wögerbauer, une forêt est une forêt, un cloître est un cloître, une cellule est une cellule, etc. Nulle transposition, donc - comment cela se pourrait-il pour un opéra à ce point inscrit dans l'Histoire -, nous sommes bien au XVIe siècle, entre Fontainebleau et l'Espagne, comme l'indiquent les très beaux costumes d'Annamaria Heinreich. Tout au long des neuf tableaux, l'intrigue garde la limpidité du cristal, rien n'entrave la fluidité de ses enchaînements ; ce n'est jamais trop ni trop peu, c'est toujours juste ce qu'il faut, cet équilibre en toute chose rappelant l'art d'un autre géant : Visconti.

Le sens de l'équilibre caractérise aussi la direction de Pappano qui obtient des Wiener Philharmoniker — et des choeurs — une cohésion phénoménale.

Le trait est d'une précision millimétrique, les alliages savamment dosés, mais le grand vent de l'épopée se raréfie, la fièvre ne monte guère, la tension se relâche. Il faudrait du sang et des larmes, on n'a qu'un flot de beautés sonores — mais quel ! Si le Philippe II de Salminen a désormais l'âge d'être le grand-père de l'Infant
plutôt que son père, la carcasse et l'autorité impressionnent toujours. Et le reste du plateau évolue dans les plus hautes sphères. Le Posa d'Hampson continue à porter beau, campé sur un baryton à la plastique irréprochable, en dépit d'une tierce supérieure un rien durcie. Autre vétéran, Lloyd prête sa voix au fantôme de Charles Quint ; l'émission tremble un peu, mais le timbre a gardé son impact. De même, le Grand Inquisiteur d'Halfvarson reste d'une brutalité implacable.

Et grâce à Semenchuk le niveau monte encore d'un cran : cette princesse Eboli fait tourner ses voiles avec aplomb, jouant de toutes les séductions d'un capiteux mezzo et trouvant lors des aveux, les pitoyables accents d'une sincère contrition.

Enfin, Harteros et Kaufmann partagent une nouvelle victoire qu'il faut bien qualifier d'historique. Elle, Elisabetta chair et pleur, drapée dans la vastitude de son fier soprano, avec quelque chose de plus en plus callassien dans les manières, ce mélange de maîtrise et d'abandon qui n'appartient qu'aux plus grandes. Lui, Carlo au tempérament fragile mais au chant d'airain, pas heldentenor pour un sou, trouvant on ne sait où une lumière latine que colore tout un arc-en-ciel de nuances, sertissant de mille élégances le moindre phrasé. Quand l'art du chant atteint de tels sommets, on n'est plus à Salzbourg, on n'est plus sur terre. On est ailleurs. Alors oui, Diapason d'or car, en dépit de quelques réserves et une fois faite la somme de ses qualités, ce Don Carlo prend la tête d'une vidéographie pourtant très riche. Pour Don Carlos (version française), demeure la production
de Luc Bondy (1996, récemment rééditée en Blu-ray par Warner), avec, déjà, Hampson, Halfvarson et Pappano.






 
 






 
 
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