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ResMusica, 12/03/2009 |
Jacques Schmitt |
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Angela Gheorghiu est Butterfly
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EMI Classics |
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On
a souvent reproché à Maria Callas d’avoir enregistré des opéras qu’elle
n’avait pas chantés à la scène. La qualité de ses interprétations a démontré
qu’on lui faisait un faux procès. Aujourd’hui, Angela Gheorghiu en fait de
même. Lui ferait-on les mêmes critiques qu’au même titre que son illustre
prédécesseure on se tromperait. Parce que Angela Gheorghiu est Madama
Butterfly !
On sait la soprano roumaine extrêmement exigeante quand elle met en jeu sa
réputation et son art. Son amour inconsidéré pour la musique de Giacomo
Puccini l’a amené à une vénération de son œuvre qui l’oblige à l’approcher
avec une rigueur qui ne souffre pas l’à-peu-près. Déjà sa Rondine
enregistrée en 1996 avait été unanimement saluée par la critique, tout comme
son interprétation sensible de la Tosca de 2000. Aujourd’hui, Angela
Gheorghiu signe une Madama Butterfly qui récoltera tous les lauriers et
figurera sans aucun doute comme la nouvelle référence absolue de Madama
Butterfly.
Vocalement, la soprano roumaine semble avoir atteint la plénitude de sa
voix. A chaque nouvel enregistrement ses progrès vocaux sur le précédent
album sont palpables. Où s’arrêtera-t-elle ? Ici, sa voix s’est enrichie
d’une palette de nouvelles couleurs qu’elle exhale aussi bien en pleine
puissance qu’en pianissimi éthérés. Avec cette infime retenue du chant,
comme un léger retard dans l’émission de la note, elle sublime l’émotion, la
profondeur et l’intériorité du personnage de Butterfly. Angela Gheorghiu
pénètre pleinement l’ingénuité de cette femme-enfant pourtant déjà happée
par l’amour inconditionnel de son bel officier. Pour ce subtil mélange de
candeur enfantine et d’amour passionnel, le chant de la soprano roumaine se
charge de couleurs comme aucune autre cantatrice n’a su offrir jusqu’ici.
Jamais non plus la voix d’Angela Gheorghiu n’a été aussi belle, aussi
homogène, aussi magnifiquement projetée. A chaque note, sa couleur, son
souffle, son articulation. Tout dans son chant est le fruit d’une réflexion.
Une réflexion sur la musique, une réflexion sur le texte. Plus encore que
dans les airs les plus connus de l’opéra, c’est dans ses interventions
mineures qu’on mesure l’étendue de son art consommé de l’interprétation. Sa
prononciation absolument irréprochable la projette dans le théâtre total.
Elle est le théâtre au point qu’on n’a plus l’impression qu’elle chante le
texte mais qu’elle le dit en chantant. Jamais jusqu’ici une voix comme celle
d’Angela Gheorghiu n’a chanté avec autant d’amour, avec autant de passion «
Vogliatemi bene, un bene piccolino ». Et entendre sa voix s’assombrir
magnifiquement quand elle évacue la tristesse de l’absence prolongée de
Pinkerton dans son superbe « Un bel di vedremo ».
A ses côtés, le Pinkerton de Jonas Kaufmann est aussi somptueux que la
soprano est bouleversante. La rencontre de ces deux chanteurs se mue en un
miracle vocal. Deux grands musiciens qui s’investissent pour que vive
l’intrigue au-delà du simple chant. Electrisé par la personnalité d’Angela
Gheorghiu, le ténor allemand livre ici une interprétation empreinte d’une
formidable théâtralité et d’une vigueur juvénile admirable. Les autres
protagonistes ne sont pas pour autant en reste par rapport à la prestation
d’Angela Gheorghiu et de Jonas Kaufmann. Ainsi Fabio Capitanucci
(Sharpless) peaufine son personnage dans la noblesse d’un chant à la
parfaite diction.
La froideur des studios d’enregistrement est rarement propice aux grandes
interprétations. Pourtant, ici le miracle a eu lieu. Si les deux principaux
protagonistes en sont les initiateurs exemplaires, la direction
époustouflante d’Antonio Pappano ne fait qu’ajouter à ces moments de grâce.
Il mène l’Orchestre de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia aux portes de
la perfection, tirant de ses pupitres une incroyable énergie. Rompu au
travail de l’opéra, l’ensemble romain se surpasse en offrant un
accompagnement admirablement contrasté. Alternant d’éclatants forte avec de
langoureux pianissimi, il s’investit sans ménagement dans cette aventure
musicale.
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, la technique de l’enregistrement
est elle aussi exceptionnellement réussie. L’équilibre sonore entre les
chanteurs et l’orchestre est parfait. Les timbres orchestraux sont
admirablement bien rendus. En définitive, un magnifique travail d’artisans
conscients du moment particulier qu’ils vivent. |
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