Classique News, 7 septembre 2013
par Carter Chris Humphray
 
Jonas Kaufmann, ténor
Quelle ivresse vocale et quelle splendeur dramatique ... Kaufmann est bien le ténor allemand, mozartien, schubertien, wagnérien d'une totale conviction à ce jour. Le récital Decca édité en septembre 2013 laisse ... émerveillé par tant d'intelligence stylistique. Son Don Carlo de Verdi exprime le désarroi d'un prince défait et détruit ; comme son Werther est d'une étoffe noire, tragique et tout autant digne, blessée mais intense. Son italien comme son français (Faust de Gounod, immédiat, saisissant) sont plus qu'acceptables : racés, mordants, incarnés.

Irrésistible Kaufmann

L'équilibre régnant sur ce récital étonnant, on y retrouve autant de germanisme que de ... vérisme.
Ses Puccini (Cavaradossi excellent), dans le sillon des Verdi (stylés), font aussi place aux non moins très bien défendus : Giodano (Fedora), surtout Cilea (L'Arlesiana : superbe lamento de Federico : lyrique et épique, tendre et habité, éperdu et amer)... tant de versatilité assumée et crânement caractérisée (psychologiquement et dramatiquement) laisse sans voix.

Comme il est envisagé dans le choix du visuel de couverture, Jonas Kaufmann cultive volontiers son côté bad boy, un travers marketing sur lequel surfent aussi ses confrères barytons basses chez DG, René Pape ou Bryn Terfel ... mais sous le regard noir et l'oeil fixateur du ténor se dévoile aussi un âme entière et passionnée taillée pour les rôles les plus romantiques voire désespérés. On aurait du mal à le croire foncièrement mauvais et maléfique tant son timbre exige naturellement l'embrasement des héros ivres et passionnés, amoureux et désirants.

Côté inédits, propres au programme : Apri la tua finestra d'Iris de Mascagni laisse s'épanouir ce feu sombre et noir du ténor allemand (va-t-il suivre les pas d'un Domingo durable et même ressuscité depuis son nouveau timbre de baryton ?). Et Cäcilie de Strauss dans sa somptueuse version orchestrale scintille elle aussi d'un feu, ou plutôt d'un torrent d'effluves porté par un pur désir : Kaufmann nous promet-il ainsi un prochain récital straussien ? Nous en somme déjà impatients.

Le ténébreux sait aussi séduire d'une voix languissante, d'une nostalgie suspendue murmurée : comme sa consoeur Renée Fleming elle aussi dans son dernier récital titre (Guilty Pleasures), Jonas Kaufmann choisit Ombra di Nube de Licinio Refice, une mélodie qui convient idéalement à son timbre passionné de jeune héros sacrifié.
Son Tamino mozartien puis Huon wébérien ont une grâce et une légèreté irrésistibles. Mais le ténor sait autant mordre et accrocher excellemment chaque mot du texte.
S'il n'était qu'un rôle qui le rend à nos yeux inégalable, c'est à dire bouleversant, gardons au sommet, son Siegmund (Walkyrie de Wagner) que nous connaissions déjà sous la direction (si limpide et liquide) de Claudio Abbado (l'air était précédemment au programme de son précédent album récital chez Decca) : sens du verbe, éloquence lyrique, ivresse sentimentale, palpitation de chaque instant, voici un Wagner idéal servi par un interprète en état de grâce : il est vrai en fusion totale avec la baguette envoûtante d'Abbado. Dans la diversité réussie de chaque rôle, Jonas Kaufmann est bien le plus grand ténor actuel. Récital événement.


 
 






 
 
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