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Forum Opera, 25 Septembre 2014 |
Par Jean Michel Pennetier |
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Ariadne auf Naxos - Version pas si originale
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C'est
dans la foulée du succès du Rosenkavalier que Hugo von Hofmannsthal
propose à Richard Strauss un ouvrage inspiré du modèle des
comédies-ballets de Molière et Lully. L’idée est de proposer une version
du Bourgeois gentilhomme où la cérémonie turque serait remplacée par un
court opéra, Ariane à proprement parler. A sa création en octobre 1912,
ce Bürger als Edelmann ne convainc pas vraiment (il semble que pièce et
opéra combinés duraient près de 6 heures : il y a quand même de quoi
doucher les plus enthousiastes) et les auteurs remettent l’ouvrage sur
le métier pour proposer la version que nous connaissons aujourd’hui : Le
Bourgeois gentilhomme est remplacé par un prologue chanté, avec le
nouveau personnage du compositeur, suivi de l’opéra. Exit Monsieur
Jourdain. Cette version, créée en 1916, aura le succès que l’on sait.
Pour son édition 2012, et donc pour le centenaire de la création de
l'ouvrage, le Festival de Salzbourg avait choisi de redonner sa chance à
la version originale… mais pas tout à fait. Dans le but, certainement
louable, d’abréger la soirée et d’équilibrer les deux parties, le
metteur en scène Sven-Eric Bechtolf écourte en effet la pièce de
Molière, réduite ainsi à une série de sketches. Mais Bechtolf réutilise
aussi des dialogues du prologue de 1916 au service d’une nouvelle
intrigue puisqu'il fait également intervenir sur scène deux nouveaux
personnages : la jeune veuve Ottonie von Degenfeld-Schonburg et un Hugo
von Hofmannsthal amoureux platonique de l’inspiratrice d’Ariane. Le
rapprochement est loin d’être absurde mais il ne brille pas non plus par
son originalité. On pourrait presque dire qu’il a un côté «
petit-bourgeois » ! Bechtolf créée donc son propre prologue, trahissant
ainsi les deux versions de l’ouvrage, mais sans véritablement convaincre
: à tout prendre, on aurait préféré apprécier l’œuvre initiale, avec ses
défauts, plutôt que d’y voir substituer cette vision plutôt triviale. Le
public épuisé par 6 heures de spectacle aurait au moins pu se dire : «
j’y étais ! ». D’autant que Monsieur Jourdain est excellemment
interprété (pour ce qui reste de son rôle) par Cornelius Obonya, d’un
abattage réjouissant. Difficile de dire également ce qui est préservé
ici de la musique composée par Richard Strauss pour le Bourgeois
gentilhomme.
L’opéra qui suit diffère assez peu de la version
finale de 1916, l’original proposant une version encore plus difficile
de l’air de Zerbinetta, ainsi qu’une fin différente : après le duo
d’Ariadne et Bacchus, Zerbinetta puis Monsieur Jourdain reviennent pour
quelques répliques, ce qui revient à rééquilibrer la balance entre
l’opéra seria et la commedia dell’arte. En s’achevant par le duo
magnifique mais un peu pompeux entre Ariane et Bacchus, la nouvelle
version semble au contraire proclamer que la musique sérieuse de
Strauss, « sublime, forcément sublime » l’emporte sur les «
plaisanteries » de l’opéra italien. Petit changement, mais grande
conséquence ! Autre différence : la suppression des interventions
parlées de Monsieur Jourdain durant le déroulement de l’opéra, épisodes
qui sont d’ailleurs plus irritants qu’autre chose car ils cassent par
trop le rythme de la musique.
Côté production, les deux parties
de l’ouvrage sont données dans un décor unique, une sorte de théâtre
dans le théâtre sans grande originalité mais esthétiquement réussi, la
mise en scène « ramant » un peu en seconde partie. En effet, autant le
prologue a (malheureusement) inspiré Bechtholf, autant l’opéra le trouve
à court d’idées, le metteur en scène se contentant d’une pure
illustration du texte.
Elena Mosuc relève avec panache le défi de
la version originale de son air, rabaissé d’un demi ton en 1916 : deux
contre-fa dièse, deux contre-fa, pour ne parler que de quelques unes des
notes aiguës les plus spectaculaires (nous ne jurerons pas ne pas en
avoir oubliées). Un exploit d’autant plus remarquable que la voix de
Mosuc est relativement plus large que celle des titulaires habituelles
du rôle, et le timbre plus corsé. On notera également par moment un
certain vibrato mais pas vraiment gênant à l’enregistrement.
Scéniquement, le soprano roumain remporte moins nos suffrages : il
manque à son personnage cette espièglerie, ce côté mutin, cet abattage
propre à nous séduire. Paradoxalement, elle campe donc une Zerbinetta
théâtralement trop sage alors que sa partie musicale est encore plus
extravertie qu’à l’ordinaire.
Emily Magee chante superbement le
rôle titre, avec un timbre d’une grande pureté. Vocalement, la partition
ne lui pose aucun problème et dramatiquement le personnage est
séduisant. Reste qu’il lui manque à elle aussi ce « je-ne-sais-quoi »
associé au charisme des plus grandes. Du charisme, Jonas Kaufmann en a
lui à revendre (d’autant qu’il est affublé d’une étonnante tenue «
léopard »). Voici sans contexte l’un des plus grands Bacchus, du moins
au disque et à la vidéo. Dans ce rôle relativement court,
quoiqu’extrêmement difficile vocalement, le ténor allemand donne tout :
l’intelligence du texte étant ici associée à une superbe puissance
vocale, le timbre de bronze du chanteur se révélant parfaitement adaptée
au rôle.
A la tête des Wiener Philarmoniker, Daniel Harding a un
peu de mal à assurer la tension dramatique nécessaire à cette œuvre
hybride. C’est le duo final qui verra chef et orchestre à leurs sommets,
le reste étant malheureusement un peu brouillon. Au global, les réserves
ne manquent pas sur cet enregistrement, mais la version originale de
l’air de Zerbinette et l’exceptionnelle présence de Jonas Kaufmann
justifient à eux seuls son acquisition.
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