Classic Toulouse
Robert Pénavayre
 
COUP DE CŒUR
Une folle histoire d’amour
Saluons tout d’abord le courage de Warner de se lancer dans une aventure que beaucoup de majors du disque ont délaissée depuis longtemps : l’enregistrement d’un opéra intégral en studio. La pari financier est bien sûr osé ; aussi, pour l’atténuer, convient-il de se donner tous les atouts. C’est chose faite ici avec le ténor star du moment, et pour longtemps encore, Jonas Kaufmann, dans le rôle de Radamès. Celui-ci a quasiment abordé tous les rôles de grands lyriques verdiens et autres. Aujourd’hui il est déjà question de l’ultime : Otello.

Pour l’heure c’est le jeune et fringant capitaine égyptien Radamès qui a retenu son attention. Il est pour le moins périlleux, Kaufmann ou pas, de se mesurer dans un rôle aussi standard, avec les grandes ombres du passé : Corelli, Domingo, Vickers, Bergonzi. Qu’apporte-t-il de neuf et d’original ? Certainement pas l’italianité, mais cela est général dans cet enregistrement largement international, mais une intelligence du personnage et une science du chant qui vous transportent sur un petit nuage de félicité.

A-t-on jamais entendu pareil Celeste Aïda achevé sur un si bémol double piano venu d’une autre planète et sans équivalent ? Comment ne pas avoir la gorge nouée dans l’ultime scène alors que les deux malheureux enterrés vivants disent adieu à cette vallée de larmes qu’est l’existence terrestre, conjuguant à l’envi des phrasés séraphiques avec des si bémols en mezza-voce à faire pleurer les pierres ? N’allez pas croire pour autant que le vaillant guerrier de Jonas Kaufmann ne sait pas faire exploser sa virilité et son courage, la scène du Temple et le final du Nil sont là pour bien préciser le large ambitus de sa dynamique.

Et puis, il y a ce sens précis derrière chaque note, cette volonté d’incarner les moindres méandres du personnage. En un mot comme en cent, c’est LE Radamès qu’il faut avoir dans sa discothèque. Mais cette folle histoire d’amour évoquée en titre ne pourrait exister sans une Aïda à la mesure d’un tel partenaire. Encore une fois, le challenge est ardu. Entre les souvenirs de l’incontournable Callas, de ceux qui le sont tout autant de Tebaldi, Price ou Caballé, la voie est étroite. Anja Harteros s’y faufile du mieux qu’elle peut, sans faire pour autant oublier quiconque. Son timbre de miel et sa science vocale sont littéralement somptueux et elle est aujourd’hui l’une des grandes verdiennes de sa génération. Sans conteste possible. Et l’on attend tellement de ce soprano, qu’il arrive parfois d’être, toute proportion gardée, déçu, comme par exemple cet air du Nil se clôturant un peu hâtivement après un contre ut en demi-teinte certes, mais pas très net tout de même. Ne terminons pas à son sujet sans souligner aussi son engagement dramatique dans les duos, que ce soit avec Amnéris, Radamès ou Amonasro. Du vrai théâtre lyrique et, en tout état de cause, une splendide interprétation. La suite du cast ne peut entraîner de pareils dithyrambes. L’Amnéris d’Ekaterina Semenchuk ne peut pallier, malgré un impressionnant organe de mezzo-soprano les aigus foudroyants et une recherche de musicalité constante, un manque vraiment cruel ici d’italianité. Les trois clés de fa font leur job, avec bonheur certes, mais sans révolutionner quoi que ce soit : Ludovic Tézier (Amonasro un peu clair de timbre), Erwin Schrott (Ramfis opulent) et Marco Spotti (Le Roi et seul italien ou presque, et cela s’entend immédiatement). Dans les troisièmes rôles, Paolo Fanale n’a pas de mal à se tirer du Messager, tout comme Eleonora Buratto de celui de la Grande Prêtresse.
Et puis il y a Antonio Pappano. A la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Académie nationale de Sainte Cécile, il donne de cette partition une version dramatique d’une haute intensité, écartant les dynamiques du quasiment imperceptible jusqu’à l’explosion sismique, in fine manquant peut être de fil conducteur, privilégiant les micro- atmosphères à une vue générale. Mais le résultat interpelle cependant par la splendeur sonore des phalanges de Sainte-Cécile.

Pour conclure, cette Aïda, très typée 21ème siècle, nous propose à entendre des choses inouïes qu’il serait injuste, voire meurtrier, de ne pas connaître. Alors donc, et malgré les quelques réserves formulées, en demi-teinte, réserves situées à un niveau de comparaison stratosphérique, il est indispensable de se procurer cet album.







 
 






 
 
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