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ResMusica, septembre 26th, 2015 |
Écrit par: Jacques Schmitt |
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Harteros, Kaufmann, Pappano, une Aïda somptueuse, mais…
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Somptueux ! L’alléchante distribution de cette nouvelle version de studio d’Aïda de Giuseppe Verdi convaincra certainement l’acheteur. Toutefois, à l’écoute, cette édition n’est pas à la hauteur de ses promesses. |
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Depuis
1906, entre les enregistrements de studio et les « live », ce ne sont
pas moins de deux cent cinquante enregistrements qui occupent la
discographie d’Aïda. La crise du CD aidant, ces dernières années ont vu
la prolifération d’enregistrements en public ou de captations de
productions scéniques, avec des résultats acoustiques souvent
discutables malgré les formidables moyens techniques actuels. Si
l’immédiateté du direct peut apporter d’agréables surprises sur le plan
de l’interprétation des chanteurs, pour l’écoute domestique rien ne vaut
un enregistrement de studio. Mais, le coût élevé de ces productions a
souvent rebuté les compagnies de disque. Les deux dernières productions
d’Aïda en studio datent de 2001 et, sous la baguette de David Parry et
celle plus surprenante de Nikolaus Harnoncourt, elles n’ont pas laissé
un souvenir impérissable dans la discographie.
Aujourd’hui,
quinze ans plus tard, comme pour conjurer le sort de la crise du disque,
Warner Classics édite une nouvelle version de studio d’Aïda. On a choisi
la crème actuelle des interprètes pour en assurer la qualité. On a
soigné les répétitions, le montage. On n’a pas lésiné sur le temps de
l’enregistrement, sur les reprises. Bref, le producteur a grand ouvert
les cordons de sa bourse. Pour quel résultat ?
Dès l’ouverture,
la patte du chef anglais Antonio Pappano confirme son implication dans
la musique de Giuseppe Verdi. Apportant le plus grand soin à colorer
chaque mesure, on est admiratif de l’image qu’il donne de l’œuvre
verdienne. Aïda, l’un des opéras parmi les plus souvent caricaturés lors
des manifestations touristiques des festivals d’été, aurait-il enfin
trouvé sa version de référence ?
Inspiré, avec des pianissimi
éthérés et une douceur infinie, Antonio Pappano concentre son discours
musical sur l’histoire d’amour entre Aïda et Radamès. Pour concrétiser
sa conception, Pappano s’est entouré de ce qu’on peut espérer de mieux
parmi les artistes lyriques. D’abord, le ténor vedette actuel, Jonas
Kaufmann (Radamès) qui s’implique sans compter pour donner à son
personnage la jeunesse et la fougue amoureuse. Son « Celeste Aïda » est
un modèle de contrôle vocal. Avec une domination technique incroyable,
il chante le fameux air avec une maîtrise exceptionnelle de la
mezza-voce, qui lui permet de chanter cet air comme une romance
amoureuse à la femme dont il rêve. Son pianissimo à la fin de l’air
justifierait à lui seul l’achat de ce coffret. On regrettera cependant
que Jonas Kaufmann n’ait toujours pas intégré la substance du chant
italien. Débarrassé de cette fâcheuse tendance à couvrir les voyelles,
il éclaircirait son chant à l’image des Franco Corelli ou des Carlo
Bergonzi.
La soprano Anja Harteros (Aïda), dont les prestations
aux côtés de Jonas Kaufmann ont illuminé la scène salzbourgeoise
(Lohengrin, Il Trovatore, Don Carlo), souffre du même manque d’ouverture
des voyelles que son collègue allemand. Un léger problème certes, mais
qui, dans un enregistrement de studio transparaît plus que lors d’une
prise en direct. Reste que la voix de la soprano allemande est d’une
belle jeunesse et d’une stabilité d’exception, même si sa diction laisse
fortement à désirer quand la soprano chante à pleine voix.
Autre
grande voix, celle de la mezzo Ekaterina Semenchuk (Amnéris). Ici,
encore, l’italianité fait défaut. La mezzo russe écrase le texte verdien
de sa phénoménale puissance vocale. Le chant est là, mais le personnage
est souvent absent, plus occupé à chanter qu’à incarner.
Avec le
baryton Ludovic Tézier (Amonasro), on retrouve le chant verdien dans
toute sa splendeur. Malgré des aigus quelques peu flottants, il possède
la belle noirceur des rôles écrits par Verdi. Avec une diction parfaite,
il campe parfaitement la noblesse du personnage sans aucun besoin de
forcer les notes.
A noter, la présence d’Erwinn Schrott, Ramfis
de luxe, quoique vocalement un peu fruste.
Si bien débutée, cette
version d’Aïda souffre peu à peu de la forte personnalité des chanteurs.
Elle submerge petit à petit le chef d’orchestre, dont la baguette accuse
bientôt des lourdeurs, des éclats musicaux pas très convaincants pesant
sur la musique de cet opéra. On regrettera donc que cette aventure se
termine dans ce qu’on pourrait appeler « une imagerie musicale
véronesque » avec son lot de clichés si souvent accolés à cet opéra
pourtant chargé de si sublimes musiques.
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