Le Figaro, 26.4.2016
Christian Merlin
 
L'opéra comme dans la légende!
 
Les caprices de diva sont célèbres dans l'histoire de l'art lyrique. À Vienne, la star des ténors, Jonas Kaufmann, s'en est amusée dans la «Tosca» de Puccini aux dépens de la soprano roumaine Angela Gheorghiu.

Quand vous entendez ce genre d'anecdotes, vous vous dites toujours que c'est trop beau pour être vrai, à ceci près que cette fois-ci vous pouvez le voir sur Internet. Jugez plutôt. Nous sommes le 16 avril à l'Opéra de Vienne. On joue Tosca, retransmis en streaming sur le Web. Dans la salle, il y a de l'électricité dans l'air. Rien d'étonnant quand on consulte la distribution: Angela Gheorghiu, Jonas Kaufmann, Bryn Terfel, trio mythique!

Dès le matin, le public se pressait pour les fameuses « places debout », mises en vente le jour même du spectacle. Le bruit avait déjà couru que, lors de la représentation précédente, le 9, Jonas Kaufmann avait bissé son air E lucevan le stelle, une rareté ! Le ténor allemand, superstar actuelle hors catégorie et d'ores et déjà l'un des dieux de l'histoire de l'opéra, se montrait dans une forme suffisamment éblouissante pour calmer les inquiétudes de ses fans, après plusieurs annulations probablement destinées à se soigner. Triomphe, une fois de plus, après son air.

Cette fois, il semble décidé à ne pas se laisser fléchir, mais, au bout de cinq bonnes minutes d'applaudissements délirants, il est obligé de céder: il redonne son air. L'orchestre enchaîne. Dans sa cellule, Mario Cavaradossi va recevoir la visite inespérée de sa maîtresse, Floria Tosca, qui a obtenu un sauf-conduit du fourbe Scarpia. Sauf que le ténor voit ce qui échappe au chef d'orchestre Jesus Lopez Cobos: pas de Tosca en vue ! Constatant qu'il y a un problème, l'orchestre tient la note et, au lieu de chanter les paroles: «Franchigia a Floria Tosca! » («un laissez-passer pour Floria Tosca! Kaufmann lance sur les mêmes notes: « Non abbiamo soprano!» («nous n'avons pas de soprano! ») . L'orchestre s'arrête, Kaufmann éclate de rire et la salle avec lui. Avec sa gentillesse et sa simplicité coutumières, le ténor s'adresse au public: «Excusez-nous, j'espérais qu'on allait pouvoir enchaîner, mais... Ah voilà, cette fois nous allons pouvoir continuer. Encore toutes nos excuses.» L'orchestre reprend et cette fois Angela Gheorghiu entre en scène, avec un air bougon et fermé qu'elle conservera jusqu'aux saluts!

Hostilité des bis
Que s'est-il passé? Officiellement, un retard involontaire. Entendant que le ténor bissait son air, elle aurait préféré retourner dans sa loge plutôt que d'attendre en coulisse, or l'orchestre a enchaîné après le bis sans applaudissements.

Les réseaux sociaux s'en donnent à coeur joie et, connaissant bien les antécédents de la diva en matière de caprices et manque de confraternité, ne sont pas dupes. D'autant que la Gheorghiu avait déclaré en interview son hostilité aux bis. De là à penser qu'elle a pris la mouche car le ténor a monopolisé les applaudissements...

Certains observateurs avisés ont remarqué que, au premier acte, elle n'avait pas posé comme prévu le bouquet de lys dans les fonts baptismaux, si bien que Scarpia, alias Bryn Terfel, sup¬posé en extraire une fleur, a tâtonné en vain dans le récipient avant de renoncer au jeu de scène prévu... Vous remarquerez que Tosca est l'opéra qui appelle le plus ce genre d'anecdotes: entre la fois où Régine Crespin a dû tuer Gabriel Bacquier avec une fourchette parce qu'elle ne trouvait pas le couteau, celle où Montserrat Caballé a rebondi sur le matelas censé amortir la chute de l'héroïne et celle où José Carreras, constatant que le peloton d'exécution censé le fusiller n'était pas entré en scène, a levé les bras au ciel et est sagement tombé à terre sans coup de feu, il y aurait un livre 'à écrire. Rien que pour ce genre d'incidents, pannes, échanges d'amabilités, l'opéra sera toujours l'opéra, lieu où les dieux sont aussi des hommes!


 
 






 
 
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