la Croix, 13/8/15
Emmanuelle Giuliani, envoyée spéciale à Munich
 
Jonas Kaufmann, la suprême intelligence d’une voix d’or
Orange, Munich, Salzbourg… le ténor allemand, la « vedette » lyrique la plus adulée actuellement, est sur tous les fronts festivaliers de l’été.
 
Explorant les grands rôles du répertoire avec un éclectisme revendiqué, il sera très présent en France dès la rentrée 2015.

Depuis le perron à colonnade de l’Opéra de Munich, l’équipe artistique de Manon Lescaut salue, sous les vivats, le public massé sur la place. Alors que les plus chanceux, ou les plus prévoyants, ont assisté à la représentation de l’œuvre de Puccini dans la salle, des milliers de spectateurs l’ont également goûté en direct sous le ciel d’été – un peu frisquet – grâce à une projection gratuite sur écran géant.

Le dernier spectacle du formidable festival lyrique de la capitale bavaroise (un mois ininterrompu et une affiche de rêve) bénéficiait en effet de l’opération « Oper für alle », c’est-à-dire « Opéra pour tous ».

Au côté de Kristine Opolais, blonde Manon aux accents déchirants, c’est l’enfant du pays, le ténor Jonas Kaufmann, qui une fois encore a embrasé la scène munichoise. Son Chevalier des Grieux, passionné et désespéré, fébrile et ardent, fait fondre tous les cœurs.

Une présence remarqué aux Chorégies d’Orange

Si son été se poursuit à Salzbourg, dans une nouvelle production du Fidelio de Beethoven, le chanteur a fait une incursion remarquée en France, invité par les Chorégies d’Orange. Il y retrouvait un autre héros tragique du répertoire lyrique, Don José, l’amant de la fascinante et redoutable Carmende Bizet.

« Orange est un lieu magique, s’enthousiasme Jonas Kaufmann dans un français aisé, et le plein air convient à merveille au climat nocturne et sauvage de Carmen. Ayant étudié le grec et le latin dans ma jeunesse, comment ne serais-je pas sensible à ces somptueux vestiges antiques et à l’atmosphère de la Provence ? »

Un ténor fin et cultivé

Si la musique est son mode d’expression et la voix son incomparable atout, le ténor allemand nourrit ses incarnations d’un réel appétit de culture et de sensations esthétiques. « On ne se glisse pas dans la peau et l’âme de Don José, de Faust, Werther ou Don Carlo, sans s’imprégner de Mérimée, de Goethe et de Schiller », plaide-t-il.

« On dit souvent que les livrets d’opéra appauvrissent les grands textes qui les inspirent. Je ne suis pas d’accord ! Il y a bien entendu un travail de transformation qui tend à raccourcir, synthétiser, mais c’est pour mieux choisir ce qui fera théâtre et sera magnifié, électrisé, par la partition. Écoutez La Traviata de Verdi. Les moments de bonheurs y sont incroyablement concentrés pour laisser le champ libre à la souffrance de Violetta, si puissante émotionnellement… »

Depuis qu’il est devenu, voici quelques années, une « star » internationale déchaînant la frénésie des lyricomanes, Jonas Kaufmann semble naviguer avec flegme au milieu des flots triomphaux qui accompagnent chacune de ses prestations.

Tout juste a-t-il fait montre, sur son compte Facebook, d’un (raisonnable) énervement à l’encontre de son ancien label discographique, Decca, qui a réédité sans son consentement d’anciens enregistrements d’airs italiens.

Un nouvel album pour la rentrée

Ayant depuis signé avec une autre major, Sony, le ténor allemand sort, en effet, à la rentrée, un nouvel album Puccini, enregistré à Rome sous la direction de son complice, le chef Antonio Pappano.

« Avec ce disque, je veux aider les auditeurs à suivre l’évolution du style de Puccini, de la jeunesse à la maturité. Mais aussi faire entendre des ouvrages moins connus ou moins aimés que Tosca ou La Bohême. Par exemple La Fanciulla del West, sans doute moins séduisante d’emblée mais qui révèle peu à peu ses trésors d’originalité et de modernité. »

L’une des plages les plus solaires de ce CD est extraite de Turandot, dont Jonas Kaufmann admire « l’orchestration rayonnante, constamment surprenante et sensuelle » : dans le grand air « Nessun dorma » (Que personne ne dorme), la sombre richesse du timbre du chanteur, percée d’aigus conquérants, se déploie à l’infini.

Une saison 2015-2016 très française

À 46 ans, jouant avec habileté mais décontraction de son physique cinématographique et de son aisance scénique dont il sait qu’elles contribuent à sa gloire, le ténor annonce une saison très française (lire ci-contre).

Au fil de concerts et représentations lyriques, et notamment un retour à l’Opéra Bastille après un mémorable Werther de Massenet en 2010, il y illustrera l’éclectisme de son talent et de son répertoire.

« Pourquoi se spécialiser alors que les styles s’enrichissent les uns les autres, que la pratique du bel canto italien assouplit les lignes germaniques. Pourquoi se priver de la mélodie intimiste qui garantit la santé de la voix – mieux qu’un mois de vacances ! –, la profondeur et le raffinement de la musicalité, à mettre ensuite au service du grand opéra ? »

Les aficionados de Jonas Kaufmann en sont persuadés : ils ne sont au bout ni de leurs surprises ni de leurs émerveillements. En attendant, notamment, de l’entendre dans le Tristan de Wagner, ce rôle des rôles, qu’il envisage prudemment, « pas avant la cinquantaine »…



 
 






 
 
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