Diapason, décembre 2010
Emmanuel Dupuy
Èditorial
 

Un Diapason d'or, a fortiori un Diapason d'or de l'année, ce n'est pas seulement un des plus beaux disques du moment, c'est bien plus que cela.

Ce n'est plus une élection, c'est un plébiscite! Invités à voter pour notre «artiste de l'année », les lecteurs de Diapason et les auditeurs de France Musique ont choisi sans hésiter Jonas Kaufmann en lui offrant 42 % de leurs suffrages. Score sans appel pour un scrutin à tour unique, écrasant littéralement le candidat arrivé en deuxième position avec un petit 10 % des voix.

Le plus étonnant (mais est-ce si étonnant que cela?) c'est que le ténor munichois n'est pas récompensé pour un programme de raretés emballé avec soin par quelques experts en marketing, mais pour une œuvre déjà enregistrée d'abondance, un des piliers des annales du lied, La Belle Meunière. Est-ce à dire qu'il s'agit d'une version «pour aujourd'hui», ce que l'on peut faire de mieux dans un contexte de soi-disant décadence du chant, mais qui ne saurait se comparer aux bandes historiques que l'on vénère depuis des décennies? Absolument pas: cette nouveauté bouleverse toute la discographie du cycle schubertien. Aux oreilles de nombreux mélomanes patentés (j'en connais), elle est même «la» version à écouter en priorité, celle qui règle sans discussion la question interprétative par son absence totale d'artifice, une sincérité des moyens et de l'expression qui renvoient à des âges très lointains. Le miracle Kaufmann réside en cela: il n'est pas seulement un des plus grands ténors actuels, mais un des plus grands de tous les temps, dont le Lohengrin, le Florestan ou, en l'occurrence, le meunier de Schubert, se mesurent sans pâlir aux mythes du passé. Que les vestales de la nostalgie révisent leur bréviaire, les dieux ne sont pas tous morts, notre époque aussi a les siens.


Ses dieux et ses déesses, telle Isabelle Faust, dont les Sonates et Partitas de Bach changent aussi la face du monde discographique, tout comme les Nocturnes de Chopin par Nelson Freire, deux autres fleurons de notre Palmarès 2010 (cff p. 8). Car un Diapason d'or, a fortiori un Diapason d'or de l'année, ce n'est pas seulement un des plus beaux disques du moment, c'est bien plus que cela: une référence qui s'inscrit dans une longue histoire de l'interprétation et qui est appelée à garder, au sein de cet héritage, une place de premier plan. Ainsi en est-il de toutes les gravures que nous avons distinguées, y compris, donc, dans des réper-toires très fréquentés, qu'il s'agisse des concertos de Rachmaninov par Simon Trpceski, des motets de Bach par Masaaki Suzuki, des symphonies de Haydn par Marc Minkowski, des Suites de Louis Couperin par Christophe Rousset, des Prokofiev du Quatuor Pavel Haas ou des Chostakovitch du Quatuor Prazak.

Bien sûr, notre jury, qui allie des critiques de Diapason à des producteurs de France Musique, a aussi élu des gravures qui explorent des territoires moins familiers. Quoi de plus naturel en ces heures où le mouvement baroque montre toujours autant de vitalité, suscitant de salutaires redécouvertes ou réévaluations, tels ces concertos pour basson de Vivaldi auxquels le virtuose Sergio Azzolini rend leurs lettres de noblesse, ou ces airs inédits de Jean-Chrétien Bach que Philippe Jaroussky transcende de son timbre céleste.

Nous n'avons pas oublié non plus que la musique est un art vivant, qui s'enrichit en permanence d'œuvres nouvelles, ce dont le disque rend compte hélas de façon trop parcimonieuse; en ce domaine, nous avons parié (sans grand risque!) sur l'étonnante Symphonie du Jaguar de Thierry Pécou et sur une anthologie de pièces d'Olivier Greif, immense créateur trop tôt disparu il y a tout juste dix ans et dont le temps semble aujourd'hui venu. Et comme l'honneur et le devoir de la critique sont aussi (avant tout peut-être) de discerner les talents naissants, nous n'avons pas manqué de récompenser le premier récital du jeune Vittorio Grigolo qui ressuscite un art que l'on croyait perdu depuis le départ de Pavarotti, celui du ténor italien. Il y en a donc pour tous les goûts dans cet aréopage. Diapason d'or de l'année 2010, telle est la dénomination officielle: semblable à celles que l'on emploie en œnologie pour désigner les meilleurs millésimes, ceux auxquels les saisons qui passent donnent encore plus de saveur et de valeur.






 
 
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