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CAIRN, Mars 2009 |
Emmanuelle Giuliani |
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Le ténor à l’opéra : toujours plus haut !
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En ce mois de mars, deux des ténors les plus en
vue du circuit international se produisent sur les scènes parisiennes. Le
Mexicain Rolando Villazon [1] endosse les habits romantiques et dépressifs
du Werther de Jules Massenet, à l’Opéra Bastille, tandis que le Théâtre
des Champs-Elysées accueille pour une soirée de ses « Grandes voix » le
Bavarois Jonas Kaufmann. La tradition latine face à l’école allemande. Tous
deux, chouchoutés par leurs maisons de disques bénéficient de l’aura de
rôles bien-aimés du public. Villazon, c’est le répertoire italien, les héros
flamboyants de Puccini et Verdi ; Kaufmann excelle aussi bien dans Beethoven
ou les rôles « légers » de Wagner que dans Bizet et ces mêmes Italiens.
Sur le « marché lyrique », les deux trentenaires ne sont pas tout à fait
seuls. Le temps où les « Trois ténors » (Luciano Pavarotti, Placido Domingo
et José Carreras) semblaient éclipser tous leurs collègues est révolu. La
nébuleuse des gosiers d’or est plus diverse. Chéri des auditeurs et
téléspectateurs français (il était encore tout récemment le parrain de «
Victoires de la Musique classique » sur France 3), Roberto Alagna, d’origine
sicilienne comme il le chante dans son dernier album (plus de 300 000
exemplaires vendus) reste, solide, sur les planches internationales. Et ce
n’est sans doute pas sa défection de dernière minute ou presque à l’Opéra de
Monte Carlo, où il devait interpréter Andrea Chénier d’Umberto Giordano, qui
entamera sa popularité désormais garantie par une bonne dose de cross-over.
A saluer cependant : si la plastique vocale s’émousse, la noblesse du style
et la parfaite diction demeurent les atouts inchangés de cet artiste
généreux.
Voix plus légère, à la virtuosité confondante, Juan Diego Florez, natif du
Pérou, sait quant à lui subjuguer les mélomanes dans les pages bel cantistes
de Bellini, Rossini ou Donizetti. Joli garçon à l’œil de braise, il occupe
ce créneau du ténor « di grazia », sans se laisser distraire par de
dangereuses sirènes qui voudraient l’attirer dans des eaux plus tumultueuses
(des rôles plus lourds) où son talent pourrait s’abîmer !
Depuis que les castrats ont abandonné, au début du xixe siècle, la scène
lyrique et les fantasmes des fanatiques de l’opéra, le « divo » est devenu
sans conteste le ténor. La nature n’y est pas étrangère : pour quantité
d’organes – certes plus ou moins valables – de baryton, bien peu de vraies
voix masculines aiguës, capables de s’épanouir tel un soleil dans le haut de
leur registre. Peu à peu, l’effectif et la puissance des orchestres se
développant, la technique des chanteurs a dû s’adapter pour franchir cette
masse sonore. Une vaillance nouvelle s’est imposée à ces princes de la
scène, tel le légendaire Enrico Caruso, qui, à la faveur de la suprématie de
l’opéra italien, ont tous cherché à cultiver les caractéristiques propres à
la vocalité transalpine, quitte à « coloniser » le chant français. Seul a
résisté le ténor allemand, culminant chez le surhumain chanteur wagnérien :
s’il est admiré passionnément des aficionados du maître de Bayreuth, il ne
franchit pas ou peu la frontière de la renommée populaire. Son physique
souvent massif et l’austérité de son répertoire conviennent difficilement
aux lois du marketing…
L’effondrement du marché du disque affole les producteurs qui cherchent des
stars capables de fédérer des ventes importantes. Ils promeuvent et poussent
donc leurs poulains à travers des enregistrements lancés à coup de tournées
de récitals, de passages à la radio et (si possible) à la télévision, de
couvertures glamour dans la presse spécialisée. Le dossier de presse et
le DVD accompagnant le très beau CD de Jonas Kaufmann, Romantic arias (chez
Decca), proposent une galerie de photographies toutes plus séduisantes les
unes que les autres. Hors contexte, ne pourrait-on prendre ce produit pour
le press-book d’un mannequin de mode ? Heureusement, l’artiste sait où
réside son talent et refuse jusqu’ici de soumettre la musique à la tyrannie
du look. Moins prudent, l’exubérant Rolando Villazon n’a pas toujours
préservé une voix encore fragile, l’exposant sans ménagement à des rôles
surdimensionnés. L’aventure s’est soldée par une sérieuse crise (beaucoup
d’annulations) et, depuis quelques mois, un retour peu convaincant.
Profitant de l’Année Haendel (on célèbre en 2009 le 250e anniversaire de sa
mort), le chanteur livre un récital d’airs italiens du maître saxon (chez
Deutsche Grammophon). Si l’éloquence et l’engagement ne font aucun doute, on
peut vraiment s’alarmer de la fatigue prématurée (il n’a que 36 ans) de
cette voix jadis colorée et lumineuse.
Au royaume des voix masculines élevées, une autre famille s’est aujourd’hui
imposée, après des décennies de reconquête baroque : celle des contre-ténors
dont les étoiles (Philippe Jaroussky en est le parangon) s’attirent
pleinement l’affection du public. Hors du commun, objets de réserve encore
de la part des oreilles « traditionalistes », ces chanteurs disputent aux
ténors le brillant, la virtuosité, le spectaculaire. Leur succès témoignent
du goût éternel pour la prouesse vocale et la quête de l’infiniment aigu.
Souvent, la musique s’y retrouve, comme elle ne s’est jamais perdue dans une
autre figure du ténor, plus discrète quoique tout aussi exigeante
techniquement et artistiquement : celle de la voix plus légère qui excelle
dans Bach (dans les Passions notamment), dans Mozart ou dans le lied et la
mélodie. Moins célèbres que leurs frères de « grand » opéra, les Werner
Güra, Ian Bostridge ou Toby Spence séduisent infiniment par le fruité de
leur timbre, leur intelligence dramatique et leur respect plein de charme de
la ligne vocale. |
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