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ResMusica, 10 janvier 2012 |
par Alexandra Diaconu |
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Rencontre avec Jonas Kaufmann |
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De la troupe de l’opéra de Zürich à l’affiche
qu’il partage aujourd’hui avec Angela Gheorghiu, Jonas Kaufmann a patiemment
gravi la route du firmament. Musicien de l’année 2011 dans plus d’un pays,
le ténor allemand sera à Paris en Février. Rencontre à Milan avec un artiste
trépidant et chaleureux qui vous illumine une scène en osant « toujours tout
reprendre à zéro».
ResMusica : Vous semblez être
chez vous partout, dans le répertoire allemand, français, italien… Et ce
soir, le public de la Scala vous a accueilli en italien! Jonas
Kaufmann : C’est vrai, ici à Milan, je suis italien! Mon épouse
m’appelle le caméléon ! (rires)
RM : Avez-vous des
exigences particulières envers vous-même dans une salle comme celle-ci?
JK : Le but est évidemment d’être le meilleur possible. La
Scala est un endroit exceptionnel, un merveilleux théâtre avec un public
critique dans le sens positif et constructif. Ce qui veut dire que le vent
peut aussi tourner très vite. Je ne suis pas de nature anxieuse, au
contraire, je suis extrêmement calme. Et on me déteste parfois pour cela car
je peux lire un livre si j’ai cinq minutes avant d’entrer en scène. Mais à
la différence d’un concert, dans un opéra le trac prend la fuite dès que
l’on entre dans l’univers de l’intrigue.
RM : La
mise en scène de Luc Bondy ne vous a pas vraiment aidé en ce sens….
JK : Je n’adhère pas à cent pour cent avec la production et
je suis heureux qu’hier soir cela ait été un succès. Bondy est un artiste,
c’est son interprétation et nous devons respecter cela. Bien que j’adore
expérimenter, il me semble que Tosca ne soit pas l’œuvre idéale à
déconstruire. Puccini est un compositeur qui a tout décrit très précisément
avec sa musique: la lumière, l’air, la scène, l’atmosphère… Tout est dans sa
musique. Il a créé une musique particulière pour que Tosca décide de prendre
le couteau et de tuer Scarpia, il a rajouté dix mesures de musique, rien que
pour ça! Il faut les utiliser sinon elles n’ont aucun sens.
RM : A quel moment une représentation commence – j’emprunte votre
expression – à vous “aller comme un gant”? JK : Je
n’achèterai jamais de billet pour une première. Même si le spectacle est
généralement très réussi – la tension est à son comble – il n’est pas encore
prêt. Une fois que l’on commence à jouer, à chanter, devant un public, on
passe à un autre niveau. Le spectacle est vraiment « là » vers la quatrième
représentation. On agit et réagit différemment sous la pression d’un vrai
public qui a payé et qui attend un succès. Tout le monde est différent.
Certains voient leur énergie décupler.
RM : C’est
votre cas… JK : Absolument. Il m’est même difficile
d’enregistrer sans public! Quand j’ai enregistré mon premier disque et que
j’ai ensuite donné des concerts avec le même programme, des amis m’ont dit:
“Ce soir, c’était meilleur que sur le disque!” Bien sûr! Je n’étais plus
face à un micro et à une salle vide! Cela veut dire que l’on peut répéter
des mois et des mois sans savoir ce qu’il se passera une fois le rideau
levé, devant une salle pleine à craquer.
RM : A quoi
ressemblerait le public parfait ? JK : Vous savez,
quand, par exemple, un artiste n’est pas en forme et qu’il sait qu’il n’a
pas donné le meilleur de lui-même, le public a beau lui faire un triomphe et
l’accueillir comme un roi, il ne sera pas pleinement satisfait. Si les
spectateurs se contentent des cinquante pour cent dont il aura été capable,
cela veut dire qu’ils ne feront pas la différence quand il donnera le
maximum.
RM : Comment créez-vous un rôle ?
JK : On crée un personnage en comprenant d’où il vient et
en décidant son type de personnalité. Les mouvements viennent ensuite
naturellement. Il faut être conscient des situations qu’il traverse et tout
simplement être le personnage. Le reste vient tout seul.
RM :
Y-a-t-il une manière « juste » d’interpréter un rôle ? JK :
Dans l’interprétation musicale, il n’y a pas de « vérité » au sens d’une
juridiction qui vous dise ce qui est « faux ». Cependant, on ne peut baser
une interprétation sur un mensonge. Si l’on simule une émotion, parce qu’on
n’est est pas capable – parce qu’on n’est pas en forme ou qu’on ne peut se
mettre dans cette position – on sent qu’il manque quelque chose. Ce n’est
pas le « grand frisson ». C’est une chose éprouvante d’atteindre le « grand
frisson» ou « the real thing». Mais je crois que le public peut ressentir la
différence. Peut-être ne saura-t-il pas exactement ce que c’est mais il ne
se sentira pas aussi touché qu’il le devrait avec tous ces ingrédients que
sont l’orchestre, la lumière, la mise en scène, le décor, les costumes…
RM : Est-ce cela votre arme fatale, d’être impliqué
émotionnellement? JK : Notre voix répond à nos émotions.
Si un ami vous appelle et qu’il n’a pas le moral, deux mots suffisent pour
vous en rendre compte. Nous devons utiliser cela sur scène. Si vous chantez
parfaitement, que tout autour de vous est parfait et que votre voix sonne
comme une berceuse, cela ne collera pas. Le public sait reconnaître les
émotions profondes. Mais ces “vérités” changent non seulement d’une
génération à l’autre mais d’année en année, de production en production et
même d’un soir à l’autre.
RM : Quel personnage ne
pourrez vous pas changer entièrement ? JK : Alfredo de
La Traviata par exemple. Il serait très ennuyeux de le jouer à chaque fois
de la même manière et de partir du même angle mais Alfredo doit être
innocent. Il doit être jeune parce que, sinon, il serait terriblement
grossier et antipathique. La manière dont il traite Violetta est tout
simplement insupportable. Si on le joue « de la bonne manière », on comprend
alors qu’il est inconscient! C’est sa première histoire d’amour, il n’a
aucune expérience, il n’y connaît rien!
RM : Faire
les choses « de la même manière » ça ne vous ressemble pas… JK :
J’essaye toujours de tout reprendre à zéro. De tout « réinitialiser ». De
reconstruire un rôle depuis le tout début et oui, j’essaye de le faire un
peu différemment à chaque fois. Je ne dis jamais: « Aujourd’hui, je vais le
faire comme ça ». Non. Je reprends depuis le début. Et c’est la même chose
avec nos récitals. Avec mon partenaire Helmunt Deutsch, à la fin de chaque
concert, on se dit: « Tu te souviens de ça? On ne l’avait jamais fait comme
ça! Pourquoi ne l’avions nous pas fait avant! » On va toujours plus loin et
on trouve de nouvelles choses sans les avoir cherchées. On reprend tout
comme si c’était la première fois. Lui ressent chaque note, moi je ressens
chaque mot et on le recrée. Là, il se passe quelque chose qui nous emmène
dans une autre direction…. J’essaye de faire un peu la même chose sur scène.
Je dis « j’essaye » parce que je ne suis pas seul. Je ne peux faire que ce
que je veux!
RM : Malgré tout, vous semblez toujours
improviser… JK : Il faut toujours laisser une place à
l’improvisation, au risque de ne pas être avec l’orchestre. On ne le fait
pas pour l’éternité, on ne le fait que pour un soir, un instant unique. La
chose la plus importante est de ne jamais oublier que l’on est libre. Très
souvent, avec le trac, il est presque impossible de tout contrôler. Tant de
choses se perdent de ce que l’on aurait réellement pu accomplir.
RM : Vous saviez que vous vous lanciez sur un chemin ardu
en préférant la musique aux mathématiques… JK : Quand on
décide d’être chanteur d’opéra on vise très haut en sachant que ce n’est pas
réaliste. Malgré tout, on se doit d’essayer. Et si l’on n’essaye pas et si
l’on n’y croit pas, cela n’arrivera jamais. Les maths étaient trop arides
pour moi, trop théoriques… J’avais besoin de les associer à…
RM : L’émotion ? JK : Oui et à une dimension
physique. Chanter c’est une combinaison de toutes vos compétences, de tous
vos talents. Sur scène, il ne suffit pas d’une qualité, il faut être
polyvalent.
RM : En parlant de polyvalence, où est
la boîte à outils qui vous accompagne partout ? JK : Cet
hôtel est flambant neuf, je me suis dit qu’il n’y aura rien à réparer ici !
(rires) Ma femme m’y encourage pourtant. Elle a l’habitude de dire: «
Laissez Jonas louer votre appartement, il va tout vous réparer !».
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