Scènes magazine, Genève
octobre 2008, par François LESUEUR

entretien Jonas Kaufmann
D’invisibles fées se sont sans doute penchées sur le berceau du dernier ténor en vue, Jouas Kaufmann. Cet Allemand polyglotte qui excelle dans Mozart, triomphe dans Wagner et impressionne chez Beethoven, possède la voix et le physique, mais également la gentillesse et la simplicité des plus grands artistes. Il a chanté à l’Opéra de Zürich Königskinder de Humperdinck, Don Carlo et La Traviata de Verdi, La Bohème de Puccini, Carmen de Bizet avec Vesselina Kasarova, avant de retrouver le Festival de Montpellier pour un concert dirigé par Michael Schönwandt avec la soprano Natalie Dessay fin juillet. Rencontre.


Peu de ténors prennent comme vous le risque de chanter Parsifal et Alfredo, Florestan et Tito, Don José et le Duc de Mantoue. Comment parvenez-vous à plier votre voix à ces différents registres pour affronter ces tessitures et servir la musique ?
J.K.: Jusque dans les années soixante, il était normal qu’un soprano chante à peu près tout, de Pamina à Sieglinde, peut-être pas en alternant ces rôles du jour au lendemain, mais cela faisait partie du “cursus”. Par la suite, il a fallu se spécialiser dans des répertoires délimités et les ténors ont dû suivre le chemin. Lorsque j’enchaîne les productions dans un même type de répertoire, je me rends compte que ce n’est pas bon pour ma voix elle a tendance à s’endormir, ou à suivre certaines habitudes qui peuvent s’avérer gênantes. J’ai besoin d’alterner les oeuvres, pour découvrir de nouveaux territoires musicaux et résoudre des questions techniques c’est stimulant. Dans les années qui viennent, je dois reprendre ou aborder Carmen, Bohème, Contes d’Hoffmann et Walküre, à l’horizon 2012, et j’ai le sentiment que tous ces rôles sont arrivés ou arrivent au bon moment. Si je passais brutalement d’un répertoire lyrique à un autre plus lourd, je prendrais des risques, en revanche si les productions sont convenablement réparties, il n’y a pas de danger.

En troupe à l’Opéra de Zurich depuis 2001, vous avez appris l’alternance, le passage naturel de petits rôles vers des emplois plus importants. Aujourd’hui, de quelle manière se répartit votre emploi du temps, alors que vous êtes engagé dans le monde entier ?
Mon agenda est effectivement très chargé je dois interpréter de nombreux rôles de caractères à Zürich notamment, mais les productions nouvelles coûtent cher et je ne peux pas toujours en faire partie, lorsque je séjourne en Suisse. Cette année j’ai abordé Don Carlos en remplaçant au pied lever Neil Schicoff j‘étais là pour la Flûte enchantée et j’ai accepté d’apprendre le rôle en quelques heures avec une seule répétition, la générale. Cette année, j’y étais pour plusieurs titres dont Königskinder dirigé par Ingo Metzmacher, Bohème mise en scène par Philippe Sireuil, Carmen avec Vesselina Kasarova et Franz Welser-Möst, ainsi que Traviata avec Eva Mei et Thomas Hampson.

Aperçu dans Cassio en 2004 à la Bastille, vous voici protagoniste d’une nouvelle production de La Traviata, signée Christoph Marthaler. Paris fait-il partie des scènes sur lesquelles il faut avoir été consacré, et pourquoi ?
Ah oui bien sûr. Il y a selon moi cinq ou six places importantes au monde. Londres est la plus prestigieuse, puis viennent Paris, Milan, car la Scala reste un lieu mythique, le Met, Vienne et peut-être Munich. J’espère que l’Allemagne retrouvera le niveau qui était le sien autrefois, Berlin a ses chances, mais pour le moment je ne vois que quelques lieux qui se détachent comme Hambourg, Düsseldorf; ou Cologne les mises en scène y sont trop extravagantes et beaucoup de chanteurs n’acceptent pas de s’y plier. A Paris. je savais que la production serait différente, surtout quand on a vu le travail de Marthaler sur les Noces de Figaro, mais pour moi il est sain de varier les approches. Il est également intéressant de travailler sur une production comme celle de Zefirelli au Met, où la musique et la voix prédominent. Il y a les décors certes (rires), mais nous devons veiller à ce que nos émotions soient visibles. Le public apprécie énormément ce décorum, c’est très relaxant, mais moins divertissant que l’investissement demandé par un Marthaler, dont l’approche est pour le moins radicale.

Vous vous êtes perfectionné auprès de trois très grandes personnalités lyriques aujourd’hui disparues (Hotter, King et Metternich). Quels conseils vous ont-elles transmis et comment les avez-vous mis en pratique?
Au début il est difficile de se comprendre, car ces géants impressionnent et nous ne savons pas ce que l’autre ressent exactement pour parvenir à exécuter ce qui est demandé. Les professeurs parlent donc avec des images, des sensations et leur langage n’est pas toujours facile à décrypter. Les grands maîtres sont rarement de grands pédagogues, car chanter est pour eux facile. Quand je demandais à James King comment émettre une certaine note. il ouvrait la bouche et la poussait sans se poser de question il possédait encore une voix énorme à 72 ans. Les autres avaient de l’expérience, savaient exactement comment arriver aux moments clé, où se reposer, où donner de la force. J’ai découvert beaucoup plus tard ce qu’ils avaient tenté de m’enseigner.

Avez-vous besoin, comme certains artistes, d'avoir a vos côtés quelqu’un qui vous suive ?
Pour l’instant ma femme, elle-même chanteuse, est mon conseiller, ce qui est très pratique, car elle connaît très exactement mes possibilités. Je cherche toujours à chanter avec ma voix toutes les oeuvres, sans imiter quiconque et pouvoir me reconnaître. Ce n’est pas facile d’admettre que notre voix n’est pas forcément idéale dans Mozart et de préférer celle de Peter Schreier. J’essaie de chanter dans le style approprié, avec le même son, Traviata ou Zauberflöte, sans trop de portamenti ou de rubato.

Comment la musique et l’éventualité d’une carrière de soliste vocal se sont-elles imposées à vous ?
J’ai toujours chanté, dès mon enfance dans un choeur, à l’école, dans un choeur mixte, puis vers 14-15 ans, je me suis vu confier de petits soli. J’ai rencontré mon professeur à cet âge, mais je n’imaginais pas en faire un métier c’était une distraction. Après l’école je suis allé à l’Université pour étudier les maths, mais la musique a été plus forte. Au Conservatoire ce n’était pas facile, mais j’ai rencontré Helmut Deutsch à la Hochschule de Munich, avec qui j’ai travaillé le lied et bu des bières (rires). Par la suite nous avons pu collaborer de manière instantanée. A son contact je n’ai jamais la sensation de livrer la même interprétation.

Vous êtes un ténor recherché qui interprète l’opéra, l’oratorio et le récital que vous privilégiez. Certains artistes avouent que cela donne beaucoup plus de travail que l’art lyrique, pour un résultat mince. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est exact. A l’opéra on peut chanter souvent les mêmes rôles, avec des chefs et dans des théâtres différents, contrairement aux récitals, moins fréquents. Il faut sans cesse préparer de nouveaux programmes, ce qui prend du temps, mats pour moi cet exercice est indispensable. Si cela m’était interdit, j’en chanterais pour le plaisir avec Helmut, car nous avons besoin de ces moments de complicité. Nous pensons à des auteurs, à des thèmes et nous répétons sans perdre de temps. Helmut connaît ma voix et sait ce qui est bon pour elle. Je chante Strauss depuis 1991, date à laquelle j’ai rencontré Hans flotter en masterclass, lui qui avait chanté accompagné par le compositeur en personne. Pour moi c’était une entrée idéale dans ce monde.

Le DVD a remplacé l’enregistrement en studio et l’on peut désormais suivre la carrière d’un artiste par ce vecteur. La clemenza di Tito de Zürich 2005 vient d’être publiée chez Emi. Etes-vous généralement satisfait de ces captations et avez-vous le sentiment qu’elle restitue vraiment votre interprétation ?
Je crois que le disque cherche toujours la perfection, car il met en avant la voix, le son, la musique. Mais je n’aime pas la perfection je me souviens avoir interprété Idomeneo en faisant des pompes et je terminais l’air assez essoufflé, ce qui est logique ceci n’est possible qu’avec le DVD, autrement on aurait cru que je n’étais pas capable de chanter le rôle. Une interprétation doit traduire la prise de risque du chanteur. Le DVD est un ensemble qui montre la réalité.

Ou parle tout de même de la signature de votre contrat avec Decca pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui c’est vrai (rires). Il y a cinq ans, je n’étais pas convaincu du besoin de signer un contrat d’exclusivité, car je craignais d’être forcé de faire des choses que je ne voulais pas. Aujourd’hui il est difficile de réussir une production discographique. Mais je dois penser autrement. Je sais que d’un point de vue marketing il va falloir patienter avant de proposer un programme de lieder, mais j’ai déjà refusé de graver un album consacré au ténor italien, pour ne pas être étiquetté. Mon premier sera panaché, à mon image.

Chanter est-il toujours un plaisir ?
Oui pour le moment. C’est pour ça que je fais attention à mon instrument que j’aime dans cet état. J’espère chanter longtemps car j’ai une vie très heureuse, mais je pense un jour me consacrer à une autre discipline manager par exemple.

Dans quel état êtes-vous lorsque votre voix ne répond pas ?
C’est très difficile. Si je me fais mal pour sauver la soirée, le lendemain je ne peux plus chanter. Je veille donc sur elle. Je connais cette situation, mais je crois que dans 90% des cas, il faut avoir le courage de dire non, car au fond personne ne te remercie quand ru fais le contraire.

Propos recueillis par François Lesueur
photos, Zürich, Susanne Schwiertz






 
 
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