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Forum Opera, 8 novembre 2023 |
Par Jean Michel Pennetier |
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Verdi: Otello, Wien, Staatsoper, ab 25. Oktober 2023
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Les meilleurs ennemis du monde
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Pour cette quatrième reprise de cette
production d’Otello, l’Opéra de Vienne affiche une distribution prestigieuse
et qui, surtout, tient ses promesses. Dans une forme exceptionnelle, Jonas
Kaufmann campe un Otello racé, bouillonnant et émouvant. S’il ne rompt pas
tout à fait avec sa vision d’un Maure pauvre-type-qui-a-des-malheurs, il
renforce ce soir la dimension sombre et violente du personnage : la scène
finale est ici particulièrement impressionnante (ça tombe bien, c’était
Halloween). On ne s’appesantira pas une fois de plus sur le format vocal un
peu en dessous de celui des grands titulaires historiques : la couleur
sombre du timbre est idéale pour le rôle et ses éclats franchissent sans
problème la barre d’une fosse tonitruante tant l’artiste se donne à fond.
L’unique contre-ut (sur « Quella vil cortigiana ») est émis sans aucun
effort apparent. Jouant sur les différents registres, mixte ou de poitrine,
et variant idéalement les couleurs, le chant du ténor allemand sait aussi
exprimer les tourments de son personnage dans une interprétation sobre et
touchante, véritablement habitée. Bref : ce soir Otello avait bouffé du lion
(de Saint-Marc).
Ludovic Tézier offre une composition d’une richesse
incroyable. Tour à tour patelin, cauteleux, sarcastique ou venimeux, son
Iago est certainement l’un des plus grands, toutes époques confondues. La
voix est somptueuse et le baryton français sait en jouer admirablement,
variant les couleurs et les registres au plus près de l’interprétation
dramatique et faisant preuve d’une technique confondante (il est rare
d’entendre un Iago exécuter les trilles écrits par Verdi). On nous permettra
toutefois de pinailler sur les très nombreuses notes graves remplacées par
des notes plus aiguës, quand il ne s’agit pas carrément de phrases entières,
même si l’effet dramatique s’en trouve parfois renforcé. Enfin, le timbre
est magnifique et la projection rayonnante, sans hédonisme, les moyens
restant toujours au service de l’interprétation. Au delà des qualités de
l’artiste, c’est également sa complicité avec Jonas Kaufmann qui renforce la
qualité de cette soirée. Les deux artistes ont souvent chanté ensemble, à la
scène comme au disque. Cette entente, faite à la fois d’émulation et de
respect mutuels, contribue à faire de leurs scènes communes des moments
proprement anthologiques.
Rachel Willis-Sorensen est une Desdemona
plus femme de tête qu’épouse résignée. L’aigu est puissant, les piani
nombreux et lumineux. Il ne lui manque qu’un timbre plus riche et plus
moelleux, une largeur qui lui permettrait de varier davantage les couleurs
au service de l’émotion. Dramatiquement, le soprano américain est au
diapason de ses partenaires et son meurtre est particulièrement réaliste.
En Cassio, Bekhzod Davronov, ténor ouzbek lauréat d’Operalia en 2021, offre
une voix prometteuse, bien conduite, avec un timbre séduisant un peu sombre.
Un chanteur à suivre : Jonas Kaufmann ne fut-il pas Cassio à Bastille il y a
près de vingt ans ? La jeune hongroise Szilvia Vörös est une Emilia de luxe,
vibrante, à la voix puissante, probablement destinée elle aussi à des rôles
de premiers plans dans l’avenir. Ted Black est un Roderigo correctement
chantant mais un peu discret. A l’inverse, le Lodovico d’Ilja Kazakov est
moins policé mais la voix est bien sonore. La basse Leonardo Neiva offre
quant à lui une composition et un chant convaincants.
Découvert en
France il y a peu dans un excellent Lohengrin à Bastille, en remplacement du
volage Gustavo Duhamel, Alexander Soddy offre une direction énergique du
chef-d’œuvre de Verdi, dans une perspective (comme à Paris), plus analytique
que romantique. On a rarement entendu à ce point les détails harmoniques des
reprises de l’air du Saule au dernier acte. Si le chef britannique ne se
prive pas de déchaîner les forces de son orchestre, en particulier dans la
tempête introductive comme dans final du III mais également dans les
diverses scènes dramatiques, il n’en est pas moins attentif au plateau et ne
couvre jamais les chanteurs (on pense à Carlos Kleiber dans ce même
ouvrage). Au global, sa direction est peut-être plus électrisante
qu’émouvante mais convaincante et homogène. L’orchestre est impeccable mais
on notera toutefois quelques rares décalages. Les chœurs sont
particulièrement impressionnants, sans aucune faiblesse entre les différents
pupitres et le grand final du III est une apothéose.
Adrian Noble a
opté pour une transposition à l’époque de la création, laquelle n’apporte
pas grand chose à l’oeuvre, si ce n’est des costumes parfois peu flatteurs
parmi lesquels on notera un Iago en Général de l’Armée du Salut et une
Desdemona en institutrice pour le roi de Siam de The King and I. Le décor
épuré, est plutôt intemporel et favorable aux voix, avec un très beau
dernier acte où Desdemona prie entourée de bougies. Si les masses chorales
sont un peu statiques, les divers personnages sont à l’inverse
particulièrement fouillés (à tel point qu’on ne sait parfois plus qui
regarder sur le plateau), avec la patte d’un authentique spécialiste du
théâtre shakespearien, mais sans ostentation : une direction d’acteur
intelligente et discrète parfaitement défendus par des chanteurs en état de
grâce. |
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