Musicologie, 20 novembre 2023
Jean-Luc Vannier
 
Gala: "Caruso a Monaco", Monte Carlo, 19. November 2023
 
Jonas Kaufmann honore Caruso à Monaco pour la Fête nationale monégasque
 
Ce fut, dimanche 19 novembre au Grimaldi Forum, une soirée exceptionnelle. Mais il faut cette fois-ci entendre ce qualificatif, certes fréquemment usité pour saluer la qualité des spectacles en Principauté, bien autrement qu’à l’accoutumée. Réalisée dans le cadre de la Fête nationale monégasque et en présence de S.A.S. Le Prince souverain Albert II de Monaco, de son épouse La Princesse Charlène et de S.A.R. La Princesse de Hanovre, cette soirée programmée par la nouvelle directrice de l’opéra de Monte-Carlo Cecilia Bartoli était exceptionnelle en raison de l’atmosphère particulière – une authentique introspection – qui a enveloppé ce Caruso à Monaco : une évocation du célèbre ténor napolitain, depuis ses débuts en 1902 à l’opéra de Monte-Carlo jusqu’au retour triomphal des États-Unis en 1915, alors que l’Italie s’apprête à entrer en guerre.

Loin des paillettes et autres artifices scéniques qui font aussi les beaux jours – et les nuits ! – du Monte-Carlo festif, la dramaturgie conjointe d’Alfonso Antoniozzi, d’Alberto Mattioli et de Davide Livermore qui signe en outre une mise en scène à la fois intimiste et dynamique, fait revivre un dialogue empreint de nostalgie et de recueillement entre le vieux concierge italien du célèbre Hôtel de Paris (décors Gio Forma) et le directeur de l’opéra de 1892 à 1951 – une longévité exceptionnelle – Raoul Gunsbourg auquel l’opéra de Monte-Carlo avait rendu hommage en novembre 2022 avec La Damnation de Faust. Cette dramaturgie intervient sur fond de cartes postales de Monaco au temps d’Albert Ier (1848-1922) et d’épisodes de la carrière d’Enrico Caruso (1873-1921) retracés par une conception vidéo intelligente et poétique de D-Wok.

Quoi de mieux que l’ouverture de La forza del destino de Giuseppe Verdi interprétée par l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo en très grande forme et magistralement dirigé par Antonio Pappano pour découvrir un plateau transformé en hall d’Hôtel de Paris – « Le hall d’hôtel, nouveau lieu de vie » titrait un article du quotidien Le Monde en décembre 2017 – et où trônent, immobiles comme des statues, des personnages recouverts d’un voile noir. Ambiance sépulcrale hantée par les deux comédiens Remo Girone et Alfonso Antoniozzi mais dont les souvenirs croisés et chargés d’émotion vont ressusciter la mémoire d’Enrico Caruso au travers de ses plus grands titres interprétés par le ténor Jonas Kaufmann.

De son « Celeste Aïda », l’air de Radamès à l’ultime « E Lucevan le stelle » de Mario Cavaradossi de Tosca en guise d’adieu scénique, en passant par l’inévitable « Recitar…Vesti la giubba » l’air de Tonio dans le Pagliacci de Ruggero Leoncavallo ou le « Un di, all’azzurro spazio » d’Andrea Chénier d’Umberto Giordano, Jonas Kaufmann, qui avait fait faux bond à Monaco en 2016, nous émeut par cette admirable et étonnante ligne de chant qui sait immédiatement incarner chaque rôle au plus profond de son registre dramatique tout en égrenant d’impeccables et chaleureux forte avec une aisance – certes galvanisée par de récurrentes rasades d’eau minérale qui témoignent d’une conscience aigüe de ses impératifs vocaux – lesquels déclenchent ovation sur ovation du public. Le tout entrecoupé par les chœurs de l’opéra de Monte-Carlo (superbes « Din Don, suona a vespero » du Pagliacci et air des Gitans dans Il Trovatore), mais aussi par le poignant Intermezzo du Manon Lescaut de Giacomo Puccini et par les préludes, celui flamboyant de l’acte I et celui plus accablant de l’acte II de Carmen de Georges Bizet par la philharmonie monégasque.

« Introspection » écrivions-nous en début de cette recension. À la sortie, nombreux étaient les commentaires très élogieux mais qui mêlaient aussi réminiscences historiques teintées d’une certaine mélancolie et réflexions empreintes de réalisme sur le « passé » et le « présent ». En quelque sorte, un mémorable spectacle qui aura, le temps d’une « séance » prolongée d’une heure et quarante-cinq minutes, mis le cœur qui bat, le plus humain du Rocher, sur le divan.









 
 
  www.jkaufmann.info back top