Concert Classic
François Lesueur
 
Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
 
AIDA À L’OPÉRA BASTILLE (STREAMING) – BEEREZINA !
Que ceux qui pensaient que l’Aida d’Olivier Py avait atteint un point de non-retour soient rassurés ; celle qui lui succède le surpasse de loin dans l’indigence et l’aberration. Mais pour quelle raison Mme Lotte de Beer, qu’est allé chercher Stéphane Lissner avant de quitter cet Opéra de Paris auquel il aura fait tant de mal, a souhaité « mettre en scène » Aida ? Elle a beau s’exalter et vanter dans une interview – mise en ligne sur Octave (1) – la richesse de cette œuvre, écarquillant les yeux comme un damnée et brassant l’air de ses bras, toute fébrile à l’idée de raconter tout ensemble l’histoire des personnages et celle de la pièce, d’évoquer le colonialisme et le post-colonialisme dans une atmosphère à la Roméo et Juliette, son travail ne reflète qu’une chose : son dégoût et sa volonté de saccager Aida. Le discours que dit vouloir prôner celle qui prendra bientôt la direction du Volksoper de Vienne et qui doit s’attaquer aux Noces de Figaro l’été prochain au Festival d’Aix-en-Provence, n’est tout simplement pas lisible au plateau, ou de manière tellement caricaturale que l’on s’en détourne rapidement.

La transposition du drame dans un musée égyptien où l’on inaugure de nouvelles collections éthiopiennes à l’heure de la construction du Canal de Suez, soit celle de la création du chef-d’œuvre verdien, disparaît au profit d’une pseudo évocation de l’esclavagisme et de l’oppression, symbolisée par la présence de marionnettes manipulées à vue, une pour Aida, une pour son père Amonasro. Radamès doit donc dialoguer avec cette affreuse poupée tandis que sa partenaire tient la partie vocale, reléguée telle une vulgaire figurante. Ce dispositif aussi ridicule qu’inopérant – surtout dans le cadre d’une captation télévisée, filmée au plus près des artistes – empêche le (télé)spectateur de goûter la musique et de se concentrer sur les prestations vocales de Sondra Radvanovsky, Jonas Kaufmann et de Ludovic Tézier : un comble lorsque l’on dispose d’un cast aussi prestigieux. Bien décidée à piétiner le livret, Lotte de Beer s’échine à détourner tout ce qu’il est censé dépeindre ; Amneris devient ainsi une mère maquerelle, entourée de jeunes femmes en guêpières (masquées, covid oblige) qui la taquinent avec des rubans en attendant d’aller officier en chambre, la scène du Triomphe étant représentée par une succession de tableaux vivants, (Delacroix, Poussin, David et son Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard …) à la gloire des victoires européennes.

On imagine aisément la réaction du public face à un tel saccage, cette prétendue relecture faisant presque regretter la surcharge hollywoodienne d’un Zeffirelli ou plus triste encore, la version concertante qui nous aurait épargner cette misère. Les voix, sublimes, et tellement salvatrices, aident heureusement à supporter ce martyre : en premier lieu celle de Sondra Radvanovsky radieuse, d’une infinie liquidité, vive et épanouie, résistante et éthérée qui se plie à toutes les nuances, son émission flottante épousant chaque linéament d’une partition magistralement écrite, gorgée de demi-teintes et profuse en filati de grande école. Si l’on souffre pour elle et de ce rôle de faire-valoir pitoyable qui lui est assigné, son chant est une récompense, un bienfait, un baume dispensé par l’une des plus grandes cantatrices du moment.

Jonas Kaufmann a beau faire bonne figure, sanglé dans son costume d’officier, il ne croit pas un seul instant à ce personnage et aux situations qu’il doit jouer, mais la voix, l’interprétation, l’expression et la musique sont là, le ténor atteignant des sommets dans son duo avec Amneris, d’une violence et d’un engagement inouïs, et lors du finale, d’une rare beauté. Ludovic Tézier est également splendide en Amonasro, baryton verdien d’exception (2) qui mériterait de jouer un rôle et non celui d’un pantin, la lourde voix de la mezzo Ksenia Dudnikova malmenée par la tessiture d’Amneris, montrant d’inquiétantes limites surtout dans la scène du Jugement.
Michele Mariotti dirige avec sérieux et parfois trop d’emphase comme s’il voulait absolument tirer la couverture à lui, mais sa lecture et son travail avec l’orchestre sont payants, davantage en tout cas que ceux fournis par les chœurs que l’on a connu plus justes et mieux préparés, le Roi (Soloman Howard) et Ramfis (Dmitry Belosselskiy) étant bien ternes.
Alexander Neef, nouveau directeur des lieux, aura-t-il envie de reprendre un jour cette désastreuse mise en scène ? Rien de moins sûr.













 
 
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