Altamusica
Gérard MANNONI
 
Wolf: Italienisches Liederbuch, Paris, 14. Februar 2018
 
Grande musique, grands interprètes
Sans doute l’un des sommets de la saison musicale parisienne, cet Italienisches Liederbuch très attendu a répondu à toutes les attentes d’un public présent pour diverses raisons en assez grand nombre pour emplir la vaste espace de la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Une soirée du plus haut niveau vocal et musical.
 
Il y avait sans aucun doute des gens aux motivations différentes dans ce très nombreux public ne laissant pas un siège libre dans cette salle pourtant si vaste de la Philharmonie de Paris. Des amateurs de Lieder, d’abord, venus pour entendre en direct l'Italienisches Liederbuch, cet ensemble de mélodies rarement donné en public mais bien connu par les enregistrements entre autres d’Irmgard Seefried-Dietrich Fischer-Dieskau et d’Elisabeth Schwarzkopf avec le même Fischer-Dieskau et composé par Wolf entre 1890 et 1896 sur des poèmes populaires italiens traduits par Paul Heyse en 1860.

Il ne s’agit aucunement d’un cycle racontant une histoire comme le Voyage d’hiver ou la Belle meunière de Schubert, ou encore L’amour et la vie d’une femme de Schumann. C’est au contraire un lot de 46 mélodies sur des poèmes d’époques diverses et d’humeurs si diversifiées aussi que le compositeur a laissé la liberté totale de choix tant des voix que de l’ordre dans lequel ces mélodies doivent être interprétées. Élément central et clé de voute de l’ensemble, la partie de piano est aussi fondamentale que les voix car c’est elle qui assure la structure thématique du tout.

Si les grands chanteurs de la génération précédente qui ont remis l’art du Lied à l’honneur avaient associé soprano et baryton, c’est avec un ténor que Diana Damrau aurait pour partenaire, l’illustrissime Jonas Kaufmann. Gageons que ces deux noms à eux seuls auraient rempli la salle même pour chanter l’annuaire du téléphone ! Mais avec ce choix de répertoire, nous avons eu le plus beau chant avec une musique magique elle aussi.

Et il fallait à la fois du talent, du courage et surtout de l’imagination pour proposer au public parisien ces 46 mélodies en direct. Avec le soutien, la complicité et l’appui essentiel du pianiste et grand spécialiste de ces musiques Helmut Deutsch, les deux stars du lyrique ont eu l’intelligence de construire une sorte de jeu scénique permanent, choisissant un ordre de mélodies qui permettait de tout ramener à une suite de petits dialogues très vivants, joués à merveille par ces deux immenses bêtes de scène.

La pureté de la voix de la belle Diana, le timbre et la technique toujours intacts du désormais grisonnant Jonas ont fait merveille dans ces joutes du plus haut niveau musical, sans une minute d’ennui, dans un déploiement d’intelligence musicale et scénique, avec une manière formidable de transmettre le contenu des textes, ce qui était aussi un souhait fondamental du compositeur.

L’art de la scène des deux interprètes était mis à rude épreuve car il fallait pour eux non seulement jouer pendant les parties chantées, chacun avec son rôle spécifique, mais aussi trouver un comportement pendant les introductions ou conclusions pianistiques pures mais parfois longues de certaines mélodies. Ils ont toujours trouvé les bonnes solutions, avec une fois encore, beaucoup d’intelligence, d’esprit et… de savoir-faire.

Impossible de commenter une à une ces 46 pages musicales, tellement variées, mais disons quand même que si l’on savait déjà d’expérience que Kaufmann était un grand maître du Lied, c’était moins gagné d’avance pour Damrau et que ce fut une sorte de révélation pour beaucoup de ceux qui ne la connaissaient qu’incarnant de grandes héroïnes dramatiques au chant très orné. Et l’un des grands mérites de ces trois interprètes fut de ne jamais donner l’impression d’un marathon musical ou vocal, mais toujours d’une sorte de jeu où ils étaient les premiers à s’amuser. Une soirée vraiment à la hauteur de nos « grandes espérances », comme l’aurait dit Dickens.









 
 
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