|
|
|
|
|
Forum Opera, 11 Juillet 2018 |
Par Yannick Boussaert |
|
Wagner: Parsifal, Bayerische Staatsoper, ab 28. Juni 2018
|
|
De haut en bas
|
|
Une distribution et un chef
encensés, un metteur en scène et un artiste associé conspués : la nouvelle
production de Parsifal à Munich fait couler beaucoup d'encre depuis la
première le 28 juin. |
|
L’oeuvre de Georg Baselitz, décorateur
et principal artisan de cette nouvelle production, s’identifie au «haut en
bas». Le peintre présente ses toiles post-expressionnistes renversées et
provoque des changements de regard et de sens pour le spectateur de ses
œuvres. Est-ce que le public de ce Parsifal, habitué à un théâtre de
«Konzept» a été déçu que la radicalité de l’artiste allemand se résume à un
décor de forêt d’arbres noirs calcinés et déchiquetés ? Un décor qui se
retrouvera le «haut en bas» dans le troisième acte où les arbres pendent
telles des stalactites de mauvais augures. Il nous semble que de fait
l’inversion consubstantielle de cette œuvre entre en parfaite résonnance
avec le nœud gordien du dernier opéra de Wagner. Parsifal, encore fol et
ingénu, se retrouve la tête à l’envers quand Kundy l’embrasse. C’est alors
qu’il comprend et qu’il ressent de la compassion pour Amfortas. C’est aussi
alors que l’opposition entre le désir et la foi, leitmotiv de bien des
opéras wagnériens, prend tout son sens. Il n’est guère besoin d’aller plus
loin, ni pour Baselitz qui peint et façonne en live une oeuvre plastique
sombre, froide et fascinante, ni pour Pierre Audi dont la seule tâche est de
suivre cet univers. Les costumes et ces faux corps grotesques dans
l’esthétique du peintre y concourent. La direction d’acteur est soignée,
notamment pendant ce duo déterminant du second acte qui voit Kundry et
Parsifal s’éviter, se rapprocher, dans un lien qui de maternel devient
charnel. Certes, le metteur en scène dispose de peu de prise pour étoffer la
psychologie des personnages ou leurs interactions. Il se permet même
quelques inversions, surement pour rester dans le thème du haut en bas.
Ainsi, ce n’est pas Kundry qui asperge Parsifal défaillant quand il apprend
la mort de sa mère, mais le chaste fol qui vient cajoler Kundry après
l’avoir étranglée. Cela n’apporte pas grand chose et, en effet, jamais notre
regard sur l’œuvre ne sera inversé pour nous en montrer de nouveaux recoins.
En définitive, cette production classique fait se rencontrer l’univers de
deux artistes allemands sans autre prétention interprétative.
Le cran
supérieur est atteint avec la distribution emmenée par une Nina Stemme
incandescente. Dans plusieurs interviews, la soprano suédoise déclare qu’il
lui faut fréquenter un rôle une douzaine de fois en version scénique pour en
prendre pleine possession. Elle en fait ce soir l’évidente démonstration.
Encore à se débattre dans le registre inférieur à Zurich en février, passée
par Berlin entre les mains de Daniel Barenboim et Dimitri Tcherniakov, la
voici ce soir portée par l’orchestre en fusion de Kirill Petrenko : plus
aucune réserve ne tient. Toujours son timbre doux enveloppe une diction, un
phrasé et un legato idéaux. Le portrait de la damnée protéiforme est complet
tout comme sa stratégie de séduction, des traits de Herzeleide, aux
suppliques piano et à la rage assénée d’aigus péremptoires. On sort
pantelant du deuxième acte d’autant que Jonas Kaufmann puise dans toutes ses
ressources pour triompher de cette redoutable séductrice. On retrouve chez
lui un volume plus entendu depuis longtemps. « Amfortas, die Wunde » signe
sa parfaite compréhension du rôle, le moment où l’ingénu qu’il chante au
demeurant fort bien, prend sa dimension mythique. Le monologue oscille entre
douleur, résolution et épiphanie. Conséquence peut-être de son engagement
face à cette Kundry, difficulté surement à surpasser son timbre sombre pour
incarner le porteur de la lueur d’espoir, il semble s’économiser au
troisième acte même s’il délivre un beau portrait du Sauveur s’appuyant bien
davantage sur sa musicalité et sa science des nuances que sur ses moyens
entamés. Dommage également que René Pape accuse une fatigue similaire dans
ce dernier acte malgré un récit de la décrépitude de la communauté du Graal
et de la mort de Titurel assis sur un timbre encore capiteux. Ses réserves
s’épuisent et l’onction de Parsifal manque de souveraineté, l’Enchantement
du Vendredi saint de souffle tout simplement. Le premier acte l’avait
pourtant vu dans une incarnation remarquable, proche des mots et engagé tant
scéniquement que vocalement. Wolfgang Koch se délecte dans son portrait
inquiétant de Klingsor moitié démon moitié vieil ermite. La tessiture
accidentée du rôle ne lui pose aucun problème et sa faconde sait trouver les
accents justes. Cet art du sprechgesang , Christian Gerharer en use et en
abuse pour composer un Amfortas très clivant. D’un côté on est admiratif
devant une telle maîtrise à la limite du théâtre pur, d’un autre on ne peut
passer outre l’inadéquation vocale qui le pousse au hors style permanent. Le
miracle, pourrait-on dire, est qu’il parvient dans l’instant de la
représentation à la même intensité de douleur qu’un Peter Mattei à Paris
malgré ce chant haché.
Aucune réserve pour l’ensemble des forces
mobilisées autour de ces chanteurs principaux, des chevaliers à la voix
céleste de Rachel Wilson et aux six filles fleurs riantes, aux timbres ronds
et chauds. Les chœurs du Bayerische Staatsoper méritent des louanges au
moins équivalentes tant ils sont exemplaires de diction, d’homogénéité et
stupéfiants de maîtrise vocale. Ils suivent la moindre inclinaison de la
main gauche de Kirill Petrenko, délivrent des pianos, crescendo à l’envie et
colorent leurs interventions comme un soliste le ferait : un baume d’Arabie
pour les oreilles, surtout après la contre-performance de leurs homologues
parisiens en mai dernier.
Comme souvent à Munich, on a gardé le
meilleur pour la fin. Kirill Petrenko fascine autant par la maîtrise absolue
de chaque instant qu’il imprime à tous et à chacun que par sa capacité à
s’adapter. Aux situations et au théâtre bien évidemment : il propose un
premier acte assez lent – même si la durée totale de cette direction est
plutôt rapide, en dessous des quatre heures – mais aux ruptures de rythme
nombreuses (après tout Kundry arrive bien au triple galop) et un deuxième
acte enfiévré, suffocant. Il s’adapte surtout aux forces en présence :
soutien de Pape et Kaufmann au troisième acte où la mystique se trouvera
dans la nuance et la couleur davantage que dans l’autosatisfaction du beau
son (à l’opposé d’un Philippe Jordan donc) et surtout accompagnateur de
Christian Gerharer et de sa proposition si particulière. En ce soir de
retransmission, galvanisé par un ténor engagé comme jamais et face à une
Kundry au sommet du rôle, sous sa baguette, le deuxième acte tutoie
l'anthologie.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|