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WebTheatre |
par Jaime Estapà i Argemí |
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Giordano: Andrea Chenier, Gran Teatre del Liceu, Barcelona, 9. März 2018
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Une apothéose attendue surgie de là où on ne l’attendait pas
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La présence de Jonas Kaufmann au Liceu,
pour la première fois en Espagne dans un rôle joué et chanté, a provoqué une
attente considérable, voire insupportable pour certains aficionados, même si
Andrea Chénier n’est pas le rôle le plus connu ni le plus apprécié des
licéistes. Pour cette occasion solennelle tous ont sorti le grand jeu : robe
élégante pour les dames, costume et cravate sombre pour les messieurs.
Les spectateurs les plus avisés, se réjouissaient à l’avance à l’idée de
découvrir la mise en scène de David McVicar, dont la première eut lieu à
Londres en 2016. L’histoire s’est inscrite de façon très lisible dans le
cadre parfait présenté par le travail classique et spectaculaire du
directeur de scène. Ajoutons à cela la scénographie de grandes dimensions
signée Robert Jones et la collection des riches costumes dessinés par Jenny
Tiramani. Une excellente réalisation donc.
Avant le début de la
représentation on sentait une certaine électricité dans l’air : les
spectateurs se saluaient et s’embrassaient, se congratulant d’avance comme
s’ils attendaient le Père Noël en personne. Ils avaient envie de vivre une
nuit exceptionnelle. Ils ont été comblés.
Une nervosité tangible sur
scène pendant les deux premiers actes
L’effervescence ressentie dans
la salle s’est propagée sur scène pendant les deux premiers actes. Pinchas
Steinberg, à la tête de l’orchestre, a été particulièrement attentif au
travail des chanteurs, et n’a pas forcé ses possibilités au maximum.
Pourtant on a senti ici et là des imprécisions et des doutes émanant surtout
des acteurs secondaires, mais aussi de la prudence et de la retenue de la
part des premiers rôles. Carlos Álvarez –Carlo Gérard- dans son habit de
laquais, et Sondra Radvanovsky –Maddalena de Coigny- ont chanté leur
partition sans plus. Seul Jonas Kaufmann –Andrea Chénier le poète- a
interprété les airs de son personnage avec une grande maestria et une
incroyable tranquillité. Le public a longuement applaudi ses interventions,
comme s’il voulait le remercier de sa présence bien sûr, mais aussi de son
passé artistique tout entier. Rien donc d’exceptionnel pendant la première
heure de spectacle.
Une explosion inattendue d’enthousiasme au
troisième acte.
Tout a changé au troisième acte. La longue
intervention en faveur du poète de Carlo Gérard, le domestique devenu chef
révolutionnaire, a tout simplement enflammé la salle. Le journal barcelonais
« La Vanguardia », dès le lendemain, a mesuré à seulement deux minutes la
durée des applaudissements. Sur place, après l’air du baryton on a eu
l’impression, au contraire, que le temps était resté suspendu, et que les
montres s’étaient arrêtées pendant un moment indéterminé, mais très long.
Dans le Colysée barcelonais seuls des artistes comme Montserrat Caballé,
Josep Carreras, Plácido Domingo, ou Jaume Aragall ont bénéficié
d’applaudissements aussi assourdissants et de tels bravos répétés à
l’infini. A cet instant tout le monde avait oublié celui pour qui, surtout,
on était venu : Jonas Kaufmann. Le public a eu alors le sentiment d’assister
à la nuit exceptionnelle attendue. Seulement le frisson n’était pas venu de
là où on l’attendait.
La surprise a été telle que pendant les
applaudissements quelques locataires du cinquième étage, une autre
institution barcelonaise, venus au complet adorer Jonas Kaufmann n’ont pas
pu accepter que quelqu’un d’autre lui volât la vedette. A trois reprises, la
salle tout entière a intensifié les bravos et les applaudissements afin de
faire cesser leur contestation sonore.
Rappelons cependant qu’il y a
dix ans, Carlos Álvarez, au Liceu, dans le même rôle, avait déjà fait
oublier pour un instant le ténor José Cura, alors au faîte de sa gloire (WT
octobre 2007). Depuis ce moment, la voix du baryton andalou a encore gagné
en intensité, en expression et en profondeur. Son succès dans le rôle était
donc prévisible.
Emporté par ce moment d’émotion, le public a
renouvelé les applaudissements des grands jours, qu’il a adressés cette
fois-ci à Sondra Radvanovsky pour son interprétation académique, superbement
ficelée, de la célèbre aria « La mamma morta ». Contrairement à Carlos
Álvarez l’artiste américaine a eu du mal à supporter le déluge de « brava !
» venu de la salle. Elle a montré son émotion en versant quelques larmes
aussi sincères qu’imprévues.
Jonas Kaufmann grand seigneur
Grand seigneur, Jonas Kaufmann n’a pas voulu relever le défi. Il a poursuivi
son travail d’orfèvre donnant jusqu’au bout de la nuit à son chant l’allure
élégante, quelque peu mélancolique des deux premiers actes. Il a ainsi
maintenu très adroitement la cohérence de son personnage romantique, le
timbre un peu sombre, l’expression italienne parfaite, évitant de tomber
dans le pathos vériste, malgré le fait que la musique d’Umberto Giordano l’y
autorisait, que le Liceu adore le vérisme et que ce choix venait de porter
Carlos Álvarez aux nues.
Des hauts et des bas dans le reste de la
distribution
On a donné à Anna Tomowa-Sintow le personnage de la
Madelon, sous prétexte qu’il s’agit d’une révolutionnaire âgée. On a oublié
qu’un tel personnage suppose la quadrature du cercle, en ce sens que, bien
qu’il soit âgé, il nécessite les qualités vocales d’une artiste dans une
grande forme physique, faute de quoi il devient inintelligible et donc tout
simplement faux. Si le reste de la distribution a bien rempli son rôle,
citons les deux artistes qui se sont particulièrement fait remarquer. Il
s’agit de Manel Esteve dans le rôle de Mathieu, le révolutionnaire, par son
émission pleine, claire, sonore sans excès, et Francisco Vas qui a bien
caractérisé du point de vue dramatique et vocal aussi, le rôle de l’espion,
comme il sait toujours le faire.
Le chœur de la maison, sous la
direction de Conxita Garcia a été à la hauteur. Cependant, un nombre plus
élevé de choristes -que la scénographie de Robert Jones autorisait- aurait
donné un meilleur témoignage de la situation révolutionnaire imaginée par le
compositeur.
Andrea Chénier, dramma storico” en quatre actes
d’Umberto Giordano. Livret de Luigi Illica. Coproduction Royal Opera House
Covent Garden de Londres, Centre National d’Arts Scéniques de Pékin et
l’Opéra de San Francisco. Mise en scène de David McVicar. Décors de Robert
Jones. Costumes : Jenny Tiramani. Orchestre du Gran Teatre del Liceu.
Direction musicale de Pinchas Steinberg. Chanteurs : Jonas Kaufmann, Carlos
Álvarez, Sondra Radvanovsky, Yulia Mannibaeva, Sandra Ferrández, Anna
Tomowa-Sintow, Fernando Radó, Toni Marsol, Fernando Latorre, Manel Estave ,
Francisco Vas .
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