Diapason, le 26 juin 2017
Par Emmanuel Dupuy
 
Verdi: Otello, Royal Opera House, London, 24. Juni 2017
 
Royal Opera House : le premier Otello triomphal de Jonas Kaufmann
C'était l'événement le plus attendu de cette fin de saison : à Covent Garden, Jonas Kaufmann chantait son premier Otello selon Verdi. Le ténorissimo n'a pas déçu les attentes de la planète lyrique, contrairement à ses partenaires et au spectacle conçu par Keith Warner.

Evidence. C'est le mot qui vient à l'esprit dès la meurtrière entrée en matière, cet « Esultate ! » que Jonas Kaufmann lance avec tout l'éclat d'un sombre airain, sans rouler les mécaniques pour autant. Tel est le miracle de cet Otello, qui jamais ne montre ses muscles, voguant au contraire sur un océan de cantabile pour préserver à ses phrasés leur grâce infinie, jusque dans les plus extrêmes déchaînements auxquels le mène sa jalousie morbide.

Si la puissance est bien là quand il faut, le Maure n'est pas ce soir le monstre de décibels trop souvent entendu ; plutôt un homme blessé dont les oscillations de la psyché trouvent, dans l'art des demi-teintes si cher à Kaufmann, une traduction sidérante de vérité et complexité - sans parler d'une adéquation physique idéale au personnage. Et dire que c'est là une prise de rôle ! Evidence. Et triomphe.

Face à cet astre, le Cassio de Frédéric Antoun, dont l'épanouissement lyrique a encore gagné en mâle séduction, fait un redoutable rival, trouble objet de désir et de vengeance. L'entourage, hélas, n'évolue pas vraiment sur les mêmes hauteurs. Malgré quelques aigus hululés, Maria Agresta a une voix saine, trop peut-être pour traduire les angoisses qui torturent l'épouse bafouée, sans le soupçon d'angélisme et la noble finition du chant qui font les illustres Desdemona.

Ludovic Tézier ayant été débarqué de la production sans grand ménagement (sur le motif qu'il n'a pu prendre part, pour raisons médicales, aux premières répétitions), c'est Marco Vratogna qui distille l'odieux poison de Iago. L'artiste ne démérite pas, mais l'émission a des raideurs qui font, sans chauvinisme aucun, regretter le legato ensorcelant que sait épancher notre baryton national.

Au pupitre, Antonio Pappano agit en coloriste, peignant de grands tableaux sonores rehaussés par la riche palette dont s'enorgueillit l'orchestre de Covent Garden. Si ce bras toujours ferme déclenche, pendant la tempête liminaire, un fracas de tous les diables, si l'on perçoit quelques décharges d'électricité toscaninienne, le geste sait aussi s'attendrir dans les scènes plus intimistes pour choyer les voix de mille délicatesses instrumentales.

Il faudra se satisfaire de ces bonheurs musicaux car, pour le théâtre, Keith Warner s'en tient à un premier degré bien conventionnel, faisant évoluer les personnages en costumes d'époque dans un décor aux parois - trop - mobiles où le noir domine (sauf pour la chambre de la pure Desdemona, dont les murs sont blancs : bonjour le cliché). Avec l'apparition d'un navire de pacotille, celle d'un lion vénitien en faux marbre, avec le bain d'hémoglobine dans lequel expire le héros, les amateurs d'images kitsch seront comblés.

Et que faut-il penser du fait qu'Otello recouvre son identité maure à mesure que sa folie meurtrière grandit ? En pantalon moulant du plus bel effet aux deux premiers actes, il arbore au III une culotte bouffante à la mode ottomane, avant de commettre au IV son funeste forfait en djellaba... Tout cela est au mieux schématique, au pire tendancieux, certainement très insuffisant pour honorer un des plus parfaits livrets du répertoire.







 
 
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