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Télérama, 27/01/2017 |
Sophie Bourdais |
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Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 18. Januar 2017
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A Bastille, un “Lohengrin” transcendé par Jonas Kaufmann
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Prudent, mais en pleine possession de
ses moyens, le ténor allemand y fait son grand retour dans le rôle-titre de
l'opéra de Wagner. Et en livre une version terriblement humaine grâce à la
mise en scène de Claus Guth.
Viendrait-il ? Le public de l’Opéra
Bastille l’attendait samedi soir dans Lohengrin, de Wagner, avec la ferveur
d’Elsa de Brabant espérant l’arrivée de son champion et sauveur. Et
Lohengrin/Jonas Kaufmann a fait son apparition au cours du premier acte,
tremblante silhouette recroquevillée sur le sol, cachée puis dévoilée par la
foule des choristes. Ce fut peut-être l’instant le plus bouleversant de la
soirée. Tout était raccord : le choix du metteur en scène, Claus Guth, de
transposer la légende médiévale du chevalier au cygne dans le contexte
révolutionnaire de la création de l’opéra (donné pour la première fois à
Weimar en 1850), et de faire de ce Lohengrin sans armure, aux pieds nus, un
humain faible et fragile plutôt qu’un héros charismatique. Et la joie un peu
inquiète des lyricomanes, retrouvant leur ténor favori après quatre mois et
demi de trêve musicale forcée, dûe à un hématome sur les cordes vocales.
Impressionnant marathon
Comment va Jonas
Kaufmann ? Le timbre a toujours cette profondeur cuivrée, ce velouté
enchanteur, cette beauté quasi surnaturelle qui font de sa seule présence un
cadeau. L’investissement scénique a d’autant moins faibli que le chanteur se
trouve ici en complet accord avec la vision du metteur en scène, déjà
éprouvée en 2012 à la Scala de Milan. On a ressenti néanmoins, en termes de
projection et de puissance vocales, une certaine prudence dans les deux
premiers actes, comme si Kaufmann veillait à ne pas perdre d’énergie en
perspective de l’impressionnant marathon du troisième et dernier acte.
Si calcul il y avait, le résultat en valait la peine : le long récit
chanté, où Lohengrin dévoile à Elsa son identité de chevalier du Graal, fut
l’autre moment de grâce de cette production. Où tout ne repose pas sur les
épaules du ténor. Le tandem maléfique constitué par l’Ortrud d’Evelyn
Herlitzius, mi-Lady Macbeth mi-sorcière, et le Telramund sous emprise de
Wolfgang Koch, fonctionne parfaitement. Le roi Heinrich de René Pape impose
sans peine son autorité, et Egils Silins, en héraut royal, fait oublier la
déception causée par sa prestation d’octobre dans Samson et Dalila.
Quant à Elsa, il y a matière à discussion. On peut préférer des voix plus
suaves et des profils plus angéliques que celui de Martina Serafin, dont le
timbre clair, assuré et puissant la met à égalité, sur le plan vocal, avec
l’Ortrud d’Evelyn Herlitzius. Mais dans la mise en scène de Claus Guth, le
contraste entre cette Elsa apparemment solide et résiliente (mais hantée par
le frère disparu) et ce Lohengrin qui refuse les postures héroïques (mais
n’en réclame pas moins la confiance absolue d’Elsa et des gens du Brabant)
crée un fil narratif supplémentaire, qui rend naturel le cheminement vers la
catastrophe attendue au troisième acte.
Grande tendresse des
bois
Si la distribution vocale changera en février, les
chœurs, l’orchestre et la direction musicale ne bougeront pas, et il y a
tout lieu de s’en réjouir. Très présents sur scène, bien préparés par José
Luis Basso, les chœurs de l’Opéra de Paris sont magnifiques. On a déjà pu
vérifier à quel point Philippe Jordan se sent chez lui dans la musique de
Wagner, et le prélude tendu et lumineux, parfaitement équilibré, donne le
ton de ce que sera sa direction musicale. Textures denses ou aériennes selon
les circonstances, grande tendresse des bois dès qu’apparaît Elsa,
impressionnantes poussées de fièvre pour évoquer la haine d’Ortrud… Au
service des chanteurs quand la partition l’exige, le travail de l’orchestre
impressionne de bout en bout par sa finesse et son expressivité.
On
ajoutera quelques mots, pour finir, sur la mise en scène de Claus Guth, pas
vraiment révolutionnaire, mais bien structurée autour du tandem
Elsa-Lohengrin décrit ci-dessus, et remplie d’idées et d’images
nourrissantes, comme cette présence obsédante et muette du fantôme de
Gottfried, frère disparu d’Elsa, en petit garçon pourvu d’une aile de cygne.
Ou cette chambre nuptiale étrangement figurée par un petit bois avec une
mare (celle où Gottfried se serait noyé ?). Certains éléments nous sont
restés obscurs, comme la raison d'être de cet omniprésent piano droit, posé
sur le plateau côté cour pendant les deux premiers actes, et renversé au
troisième ; on n’a pas bien compris si Elsa y voyait un instrument de
torture ou un réconfortant doudou. Mais l’ensemble était bien plus
convaincant que le pénible Rigoletto du même Claus Guth, donné l’an dernier
(et repris en juin prochain) à l’Opéra Bastille.
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