WebTheatre
par Caroline Alexander
 
 
Verdi: Don Carlos, Paris, Oktober 2017
 
Sublime à entendre, terne à voir
Après trois reprises de bonne facture (Cosi fan tutte, La veuve joyeuse, Pelléas et Mélisande, voir WT 5837, 5841, 5840), l’Opéra national de Paris lance enfin en grandeur et durée sa première nouvelle production de la saison : le très attendu Don Carlos de Giuseppe Verdi dans sa version française intégrale d’origine, soit près de 3h50 de musique et 4h45 de spectacle – entractes compris.
Une performance hors norme qui n’avait plus été présentée sur une scène parisienne depuis 1996 quand Luc Bondy l’avait ressuscitée au théâtre du Châtelet.

Ce marathon musical et dramatique a été confié à l’un des metteurs en scène les plus inventifs du dernier demi-siècle, le polonais Krzysztof Warlikowski, trublion inspiré, signataire de nombreuses réussites sur cette même scène de l’Opéra de Paris (L’Affaire Makropoulos, Iphigénie en Tauride, Le Château de Barbe Bleue, le Roi Roger, Parsifal, WT1150, 2665, 965, 1532, 5466, 4889…). On en attendait beaucoup. La déception à l’arrivée a un goût d’insipide.

Une distribution de stars étoilées, des chœurs toujours magnifiques et une direction d’orchestre qui fait vibrer l’âme de Verdi compensent heureusement l’insignifiance de ce qui est donné à voir.

Le décor de base, une sorte de hall aux murs ternes faussement lambrissés manque d’élégance et ne suggère pas grand-chose. Les définitions des lieux sont envoyées sur panneau du fond de scène. Quelques meubles, un canapé, des chaises, des prie-Dieu, sont posés par-ci par-là au gré des situations, un gigantesque cube grillagé change de couleur et de fonction, maison, prison, salle d‘escrime. La nature omniprésente dans le livret a disparu. La vidéo bien entendu est au rendez-vous. Son usage semble être devenu un must incontournable. Les visages des principaux personnages sont projetés en gros plans noir et blanc. Des paupières tremblantes, des larmes, des menaces de suicide avec un révolver vissé à la tempe.

On cherche en vain la définition d’un véritable parti-pris, d’une transposition qui aurait un sens, une suggestion, le tracé d’une émotion ou d’une ironie. L’idée dominante est le flash-back. Au premier acte, dit de Fontainebleau, Carlos pose sa tête entre ses bras et se souvient… Mais ses souvenirs restent abstraits. On pourrait tout simplement fermer les yeux mais ce serait se priver de la présence et du jeu des interprètes car dans ce terne environnement scénique qui ne lui ressemble guère, Warlikowski a gardé ses qualités de directeur d’acteurs. Ils sont ici parmi les meilleurs, en voix en présence en jeu. Le ténor vedette Jonas Kaufmann en tête, suivi de près par Sonya Yoncheva, Elīna Garanča, IIdar Abdrazakov et Ludovic Tézier qui remporte la palme des performances.

Ils font avancer pas à pas le duel amoureux qui oppose un père, le roi Philippe II à son fils Carlos. Celui-ci est fiancé à Elisabeth de Valois pour mettre un terme à une guerre meurtrière qui oppose la France à l’Espagne. Coup de foudre au premier regard. Mais le bonheur sera de courte durée : le souverain ayant décidé d’épouser lui-même la belle française, leur bonheur s’effondre comme château de carte et les complots, les intrigues, vont pouvoir dérouler leurs désillusions sur le tapis d’une tragédie. Schiller fut le premier à la faire sienne. C’est sur sa pièce que Verdi et ses librettistes bâtirent leur opéra.

Jonas Kaufmann est donc ce Carlos pas complètement sorti de l’adolescence, beau gosse enfiévré d’amour pour cette femme à laquelle il était destiné et qui, par le caprice de son père, est contrainte de jouer le rôle de sa mère… Il a en lui ce mélange de légèreté et de détermination, une façon d’être sur la pointe de ses pieds nus, une fragilité maîtrisée dans les satins pastel de sa tessiture. Sonya Yoncheva est sa promise kidnappée, toute en douceur, fermeté et mélancolie. Ses graves sont tendres, ses aigus pétris de volupté pudique. A l’inverse d’Elīna Garanča mezzo aux tonalités charnelles qui fait exploser la sensualité d’Eboli sur tout ce qu’elle effleure, touche ou pétrit. Ici, presque garçonne alléchée par les corps de femme, là, maîtresse, séductrice des grands de son monde. Et de son roi, ce Philippe II auquel IIdar Abdrazakov apporte la noirceur de son timbre de basse, un peu flottant au démarrage puis bouleversant dans son grand air « Elle ne m’aime pas » de l’acte IV.

Mais dans cette production, le véritable héros n’est pas celui du rôle-titre mais celui de son ami, Rodrigue, marquis de Posa auquel Ludovic Tézier apporte une dimension quasi écrasante. Par la retenue et la justesse de son jeu et par sa voix de baryton au phrasé perlé, au légato de velours dont les graves planent et rayonnent comme un soleil de minuit.

Philippe Jordan dans la fosse transforme l’orchestre maison en brasier incandescent dont chaque flamme, chaque instrument trouve sa juste pression. Toutes les couleurs verdiennes prennent leur envol en précision, équilibre et cadences ambrées. Les yeux peuvent bouder, les oreilles sont comblées.






 
 
  www.jkaufmann.info back top