Classique News, 11.10.2017
par Elvire James
 
 
Verdi: Don Carlos, Paris, Oktober 2017
 
DON CARLOS vocalement séduisant, scéniquement terne
Que vaut ce Don Carlos à Bastille, événement car donné dans la version parisienne de l’ouvrage (1867) : donc chantée en français, avec le fameux acte préliminaire de Fontainebleau qui explicite les amours juvéniles, tendres de Carlos et d’Elisabeth… ?

Quand Bastille ressuscite une partition conçue pour Paris, et taillée pour le goût parisien, on se félicite d’une telle réévaluation d’un opéra ordinairement donné en italien et de façon incomplète (ni ballet, ni acte bellifontain). En son temps, Claudio Abbado avait enregistré une lecture profonde, nerveuse et si humaine de la partition créée à Paris…

En octobre 2017, la « grande boutique » comme disait Verdi, choisit une dimension internationale, invitant têtes d’affiche et metteur en scène scandaleux (pour faire le buzz). Le bon ton, chic et snob aime les « effets médiatiques de la sorte » : il faut absolument être présent, être vu et avoir écouté cette lecture qui passe pour un événement lyrique. Le choix du metteur en scène, le polonais Krzysztof Warlikowski comme souvent s’gissant des hommes de théâtre, tire la couverture vers lui, oubliant que l’opéra, c’est à parts égales, de la musique et du théâtre. Comme son Roi Roger – confus, kitsch, décalé, finalement laid, et plutôt brouillon, ce Don Carlos ne restera pas dans les mémoires pour sa justesse et son intelligence visuelles. On comprends mal ce qui se passe sur scène ; souvent l’effet et la volonté de rupture l’emporte sur l’explicitation de l’action, et le geste comme le mouvement des héros contredisent ce qu’ils sont en train de vivre ou de chanter.

En outre, invitant des stars internationales, la direction artistique a pris le risque de l’inintelligibilité : sans les sur-titres, il était difficile de comprendre 90% des chanteurs. Un comble pour une partition dont on a mis en avant la version parisienne justement.

Rodrigue enfiévré et fraternel, voire amoureusement défenseur de Carlos, son ami d’armes et d’engagement, le baryton Ludovic Tézier, rare français de la distribution, perce la scène : son intelligence vocale, ses phrasés phénoménaux, son jeu (qui s’est beaucoup amélioré depuis la décennie) affirment un chanteur acteur digne de la Maison parisienne. Son incarnation cultive le trouble et enrichit considérablement le profil du loyal ami de Carlos.

Eboli avantageusement annoncée, la mezzo Elina Garanca, précédemment Carmen de luxe, impose un tempérament vocal souvent foudroyant, – jaloux, dévoré intérieurement, mais… inintelligible. Dommage.

Soprano vedette dont toute la planète lyrique suit chaque nouvelle prise de rôles, Sonya Yoncheva dessine une Elisabeth de Valois d’une insondable langueur, sombre et grave, d’une douleur à la mesure de son destin contraint : fiancée du fils Carlos, elle devra finalement épouser le… père : Philippe II qu’une infinie mélancolie accable fatalement. D’ailleurs ce dernier bénéficie du baryton marmoréen d’Ildar Abdrazakov, lui aussi inaudible et souvent trop droit et carré.

Plus hédoniste que furieusement dramatique, le chef Philippe Jordan, dont on avait si apprécié la première production, semble comme distancié et rien que porteur de belles couleurs orchestrale. L’opéra analyse pourtant en profondeur la vacuité du politique et la terreur spectaculaire de l’église à travers l’Inquisition. Tout cela manque beaucoup de tonnerre et d’urgence, de vertiges comme de déflagration qui font pourtant la grandeur inédite de la partition de Verdi.

Reste Jonas Kaufmann : on osera écrire ici notre …déception. Car si la voix tisse une soie ténébreuse et sombre, sa félinité trop grave manque de l’éclat juvénile qui doit irradier du jeune Carlos : Verdi a pourtant portraituré un jeune homme ardent et idéaliste, prenant la défense des opprimés (précisément les flamands protestants, absorbés malgré eux dans l’enclave des Habsbourg catholiques) face à l’autorité paternelle, osant vivre un amour à jamais défendu. Il y a du Schiller dans ce Carlos, être entier, constamment décalé dans ce milieu austère et asphyxiant de la Cour espagnole. Le timbre trop viril de Kaufmann n’exprime rien de cela : et l’on s’obstine à penser que le chanteur a peut-être trop tardé à incarné le rôle aujourd’hui. Quand on songe à nouveau à son Otello, crépusculaire, halluciné, tel un fauve léonin (suprême incarnation défendu en juillet 2017 à Londres), on reste à Paris hélas réservé, et déçu.

La tristesse vient évidemment de la mise en scène dont le manque d’idées, l’absence de cohérence, la laideur infinie posent un vrai problème. La lecture est terne en habits modernes, d’une linéarité affligeante (d’où la réaction critique du public). Le spectateur peut attendre mieux sur la scène parisienne. Aux côtés du vide criant de la mise en scène, le beau chant des stars lyriques actuelles sauvent les meubles. Cette nouvelle production, visuellement sans idée ni justesse, sera bien vite oubliée. L’événement lyrique qu’on nous a annoncé, ne s’est pas produit. Pour une expérience plus sidérante entre théâtre et musique, courrez plutôt du côté de Nantes : l’Opéra Graslin, jusqu’au 17 octobre, affiche le théâtre vénitien du premier baroque, soit une immersion prenante voire captivante dans la machinerie amoureuse, cruelle, barbare, sensuelle concçu en 1642 par Monteverdi et son génial librettiste, Francesco Busenello. La nouvelle production du Couronnement de Poppée est pour la rédaction de classiquenews, l’événement lyrique de la rentrée 2017. Incontournable.






 
 
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