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L'Avant-Scène Opéra |
Pierre Flinois |
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Giordano: Andrea Chenier, konzertant, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 26. März 2017
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Andrea Chénier
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Un Andrea Chénier d’exception au Théâtre
des Champs-Elysées vient nous rappeler, une fois de plus, entre merveilles
et inquiétude pour son ténor, le rang toujours majeur de la Staatsoper de
Munich. Le rendez-vous est désormais traditionnel : la Bayerische Staatsoper
se déplace au Théâtre des Champs-Elysées pour un soir, avec une version de
concert d’une production – nouvelle ou non – que Munich vient de saluer dans
une distribution luxueuse.
Après La Walkyrie, Le Chevalier à la rose
et hier Ariane à Naxos, voici Andrea Chénier, de fait bien rare à Paris :
l’Opéra aura attendu 2009 – 113 ans après la création, rien de moins – pour
l’inscrire à son répertoire, précédé pourtant vingt ans plut tôt par
Versailles et sa Pièce d’eau des Suisses – idée malheureuse : le son fut
désastreux – avec Domingo, Ricciarelli et Pons. C’est que, pour réussir
l’opéra de Giordano, il faut d’abord un trio de rêve. L’affiche proposée en
ce soir du 26 mars au TCE renvoyait à ce niveau historique, bien mieux que
ne le fit Bastille naguère. C’est qu’à Munich on sait encore réussir
l’exercice avec régularité. Ainsi, le 12 mars dernier, alignait-on pour la
première de cet Andrea Chénier royal le couple vedette local et le baryton
italien qui monte : soirée de feu, plus agitée par la mise en scène discutée
de Philipp Stölzl que par la réussite musicale, unanimement saluée et
évidemment ébouriffante. Quatorze jours plus tard et avant d’y reparaître
sur scène le 30 mars et le 2 avril, voici la réussite réduite – ou, mieux,
condensée – en concert. Avantage : elle porte le théâtre en elle, dans un
jeu naturel, déjà intégré par tous, autrement sympathique que le rang
d’oignons usuel ou le semi-staged construit à la va-vite. Et, pour certains,
elle évite ainsi les errements d’une mise en scène trop souvent hors de
propos.
L’impression première, c’est l’orchestre de la Bayerische
Staatsoper qui la donne, montrant qu’il n’a, sous la baguette très enlevée
d’un Omer Meir Wellber dansant la partition autant qu’il la dirige, rien à
envier en matière de couleur, d’élégance, de qualité des pupitres et de
précision absolue à son équivalent parisien quand il est mené par un
Philippe Jordan des grands soirs. Drame voyant et poésie intériorisée,
jeunesse flamboyante et patriotisme exacerbé, jalousie emportée et
exaltation mortifère, tout ici se coulera dans le creuset d’une grande
soirée et fera finalement apprécier l’orchestration de Giordano comme on en
a peu l’occasion sous d’autres mains moins sensibles. Les chœurs, eux,
autrement distincts, articulés, disciplinés que ce qu’offre généralement
ceux de l’Opéra, sont magnifiques.
Voilà donc un support magistral à
une distribution très attendue. Petits rôles parfaits, figures et
personnalités vocales, comme le puissant Mathieu de Tim Kuypers ou
l’Incroyable matois de Kevin Conners. Plaisir de réentendre Elena Zilio, au
médium et au grave encore impressionnants, pour la courte intervention de
Madelon. Doris Soffel, en Comtesse sans émotions, et la superbe J’Nai
Bridges en sculpturale Bersi de haut rang, sont impeccables. Et l’on
découvre Luca Salsi, grande voix qui, malgré quelques graillons d’un instant
(il est visiblement enrhumé), compose un Gérard puissant mais aussi capable
de nuances subtiles. Son chant est travaillé, dans la matière du timbre,
sombre, charnu, aux aigus solides, au médium triomphant, aux graves peu à
peu imposants, pour créer un personnage traversé d’incohérence et donc en
rien monolithique, qui de l’antipathie réussit à faire surgir l’humain.
Bien entendu, le foyer de la soirée devait être le couple royal Jonas
Kaufmann / Anja Harteros, dont on sait les merveilles. On attendait surtout
le retour du ténor après son Lohengrin de janvier, prudent mais finalement
éblouissant (lire ici), pour avoir la preuve, deux mois plus tard, qu’il
avait retrouvé tous ses moyens, son insolence même et son indiscutable
charisme. L’acte I le montre à l’aise dans ce rôle de poète investi et
charmeur où la lyrique domine le propos. L’inquiétude naturelle de son
chant, l’obsession de la recherche des couleurs sombres, conviennent au rôle
mais font qu’il y manque un rien d’éclat, de lumière. Et même, ce soir,
d’aisance et d’absolu. Car on réalise bientôt que l’émission se donne en
force, Kaufmann luttant contre une voix certes toujours disciplinée comme il
en est peu mais un rien rétive, plus apte à produire un chant héroïque et
puissant (Otello, prévu pour juin à Londres, se profile déjà derrière ce
Chénier qui demande certes beaucoup) que ce jeu infini des pianissimi qui
fait sa gloire depuis une décennie déjà... Et voilà justement, au milieu du
duo de l’acte II, l’accident qui survient sur le départ d’une note filée –
sa spécialité –, craquée et aussitôt sauvée – avec art, certes – mais si
surprenante, si inattendue qu’on en reste tétanisé. Fatigue, calendrier
encore trop chargé pour une voix qui a dû se taire l’an dernier et devrait
encore se ménager, rôle trop lourd, évolution naturelle de l’instrument qui
devra aller vers d’autres moyens d’expression ? On ne sait. Mais on
s’inquiète, comme l’interprète qui se tend immédiatement, laissant deviner
sa fragilité – momentanée, on l’espère encore. Le duo, un peu moins aisé
qu’on l’espérait, s’achève sur de magnifiques nuances forte, sur des
caresses vocales aussi. Ouf ! Le public ne lui en tient en rien rigueur,
Harteros lui manifeste un soutien quasi fraternel. On fond ! Mais au long de
la seconde partie on ne retrouvera pas l’évidence qu’on connaît à son
interprétation par la captation londonienne de sa prise de rôle en 2015 ;
plutôt ce combat, cette maîtrise et cette victoire finale, quand enfin on
retrouve ces notes filées qui sont sa marque de fabrique (« Ella viene col
sole ! ») et la gloire d’aigus à l’impact sidérant. Le duo du IV, exalté et
surtout admirablement partagé, le montre tel qu’en sa légende, achevant en
splendeur un rôle où, malgré ces petites incertitudes, il reste évidemment
majeur.
C’est qu’il y a aussi, face à lui, pour l’inspirer, le
porter, le transcender, Anja Harteros, partenaire magnifique et interprète
magique une fois de plus. De la fraîcheur de l’adolescente découvrant le
sentiment amoureux au grand oiseau blessé qui évoque sa détresse à l’acte
II, jusqu’à l’ange subjugué partant vers la mort, tout est ici d’une grâce,
d’une féminité, d’un charme personnel que seule domine encore une maestria
technique chaque fois renouvelée, qui laisse à toute rencontre l’impression
d’un progrès par rapport à la fois précédente. Le legato, la façon de
sculpter le son, de passer de la miniature à la prouesse, les jeux de
nuances, de timbre, de couleurs, tout est ici confondant. Ainsi « La mamma
morta » est, au delà de l’émotion pure, une leçon d’art absolue. Salle en
délire, bien sûr, comme plus tard après le duo final. Et c’est entièrement
justifié.
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