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L'Avant-Scène Opéra |
Chantal Cazaux |
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Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
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La Damnation de Faust
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La Damnation de Faust, on le sait, est un défi quand il s’agit de monter
comme un opéra cette « légende dramatique » tout sauf théâtrale. Défi ô
combien raté dans la nouvelle production de l’Opéra de Paris, pourtant si
attendue (surtout pour sa brochette de stars chantantes). Le public a su
faire la part des choses en applaudissant chaleureusement les interprètes
avant de réserver au metteur en scène Alvis Hermanis une des plus
formidables bronca jamais entendues à l’Opéra Bastille.
Car s’il
fallait un spectacle pour servir d’étendard aux détracteurs de la mise en
scène contemporaine l’accusant d’appliquer au forceps un concept préfabriqué
sur une œuvre, ce serait celui-là. Hermanis veut nous dire que le Faust
d’aujourd’hui, c’est le mathématicien Stephen Hawking – parallèle selon lui
justifié par le fait que Hawking appelle à la colonisation de Mars, tout
comme Faust est en quête d’un « ailleurs ». Personne ne s’est-il avisé du
contresens fondamental de ce présupposé, qui rapproche deux visions
profondément antithétiques – une errance passive due à un ennui
métaphysique, et un programme technologique porteur d’un dessein pionnier ?
Bref, ça ne marche pas. Or Hermanis ne fait pas dans l’allusion, il assène :
citations de Hawking projetées sur les rideaux d’intermède, figuration du
même via l’omniprésence en scène du grand danseur Dominique Mercy
l’incarnant dans son fauteuil roulant, projet Mars One de la NASA (qui vise
à établir la première colonie humaine sur Mars en 2025) convoqué du début à
la fin de la scénographie… Las, on oublie Faust, ravalé au rang de figurant,
Marguerite, plus prétexte que jamais, et même Méphistophélès et La
Damnation, absorbés par l’apothéose finale d’un Hawking libéré de son
fauteuil par une apesanteur miraculeuse. On espère d’ailleurs que le
mathématicien a donné son accord à sa « présence » dans la production qui,
malgré l’immense talent de Dominique Mercy, confine parfois au malaise tant
il est avancé en caution intellectuelle autant que visuelle du spectacle. On
passera rapidement sur la direction d’acteurs (lapidaire), le traitement des
chœurs (absent), la chorégraphie d’Alla Sigalova (brouillonne et
redondante). Moins rapidement sur les vidéos « de » Katrina Neiburga, qui
sont le socle de la scénographie ; pour quelques associations d’idées
acceptables sinon originales (des fourmis grouillantes pour la Marche
hongroise, un volcan en éruption pour « Nature immense »), reste le triste
exploit de rendre ridicule l’un des plans les plus magnifiques du
Microcosmos : Le Peuple de l’herbe de Claude Nuridsany : deux escargots
enlacés y étaient sublimes de sensualité, mais, crûment apposés ici sur «
D’amour l’ardente flamme », font évidemment rire la salle sur l’entrée de
Marguerite/Sophie Koch.
Bravo à la mezzo de passer outre pour
délivrer son air d’une voix épanouie et sûre, style au cordeau où le trait
se remplit des touches généreuses d’un timbre plein et de registres
magistralement conduits. Moins gênée par les baleines à bosse (!) du « Roi
de Thulé », elle y est également remarquable – seul un soupçon de consonnes
manque au tableau pour parachever l’intelligibilité du texte. Bryn Terfel,
lui, tient les rênes de son tempérament pour soigner sa diction ; son
Méphistophélès s’amuse, comme indifférent à ce qui l’entoure, sachant tonner
ou denteler sa voix, le seul à maintenir en scène une forme de présence
théâtrale en dépit de la cosa mentale qui voudrait l’y gommer. Curieusement,
il est longtemps plus brillant de timbre que Jonas Kaufmann, lequel, à force
de demi-teintes soigneuses, reste en retrait – moitié raideur, moitié
intérêt (feint ?) pour son non-personnage, qui doit avant tout se projeter
sur celui d’Hawking plutôt que d’exister par lui-même. « Nature immense » le
voit pourtant déployer soudain les ailes de son timbre souverain, et
s’imposer à l’avant-scène. Un peu tard. C’est pitié de voir réunis trois des
plus grands chanteurs du moment dans une production aussi avare de
pertinence dramaturgique, d’émotion visuelle et de beauté plastique. Bon
Brander d’Edwin Crossley-Mercer (dont le « Rat » est… de laboratoire),
chœurs manquant d’équilibre et de précision au soir de la première, et en
fosse une légère déception avec la direction de Philippe Jordan qui « tient
» ses troupes plus qu’il ne les lâche dans les grandes pages berlioziennes,
ou les pousse parfois à plafonner de façon compacte. Charge (difficile) à
lui de ramener en permanence vers Berlioz les esprits égarés entre une sonde
Curiosity traversant le plateau et une vidéo de spermatozoïdes frétillant
gaiment. Damned Damnation.
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