destiMed, 12 juillet 2015
Michel EGEA
 
Bizét: Carmen, Chorégies d'Orange, 11. Juli 2015
 
On a vu "Carmen" aux Chorégies d’Orange : Quand Jonas Kaufmann survole les débats…
Samedi 11 juillet. 20 heures et des poussières. Météo de rêve sur Orange. Les terrasses des pizzerias et autres restaurants au « menu unique des Chorégies » ont fait le plein. La cohorte des pèlerins du lyrique se restaure avant de partir à l’assaut, en rang par deux, des pierres réchauffées du théâtre antique. Pour cette deuxième soirée c’est « sold out » pour la représentation de « Carmen ». Pourtant le chouchou maison, Roberto Alagna, n’est pas à l’affiche. Qu’importe, il n’est pas seul à avoir ses groupies, locales et régionales, elles sont nombreuses, dans l’assistance, à avoir les yeux de Chimène, à défaut de ceux de Carmen, pour le beau Jonas Kaufmann, Don José ce soir.

21h45 tocantes, les lumières s’éteignent. En haut, certains n’ont pas encore rejoint leurs places. Qu’importe, c’est en direct à la TV et l’heure c’est l’heure. Mikko Franck active sa baguette à la tête de ses futures troupes du « Philhar » de Radio-France, place au drame. Car c’est un drame, entre séduction, jalousie, amour et issue fatale, qui se joue sur scène. L’héroïne : Carmen, la mort est au bout de son chemin, elle l’a lue dans les cartes. Implacable destin privilégié par Louis Désiré, le metteur en scène, qui a gommé toutes les espagnolades que l’on plaque souvent sur les productions de cet opéra de Bizet, pour garnir le plateau de cartes géantes qui s’avèrent être, parfois, gênantes, pour les déplacements de ceux qui vont faire vivre l’action. Le travail de Louis Désiré a du sens, même si nous pensons qu’il prendrait toute sa dimension sur le plateau d’une maison d’opéra. Car, pour s’imprégner du propos il faut saisir toutes les subtilités de la direction d’acteurs : la présence de Micaëla, côté cour, lorsque José et Carmen s’aiment sur l’as de pique, la moue de José, seul sur sa chaise côté jardin, qui observe sa belle séductrice et bien d’autres détails encore qui peuvent échapper au spectateurs sans vision panoramique du plateau. Puis travailler sur les sentiments, même si la gestuelle est plus accentuée à Orange, nécessite une réelle proximité entre la salle et la scène, une vraie intimité. Cela dit, et écrit, Louis Désiré est allé au bout de son idée, nous offrant quelques moments d’anthologie, comme l’interlude précédant l’acte IV où Escamillo revêt Carmen d’une cape-robe. L’idée de déterminer le périmètre de l’action avec les piques de la corrida est aussi intéressante. Une mise en scène qui a ses faiblesses, mais aussi de nombreuses qualités, et qui mérite d’être reprise et affinée pour offrir une nouvelle vision totalement aboutie de cet opéra. Et après ? Après, musicalement, il y a l’orchestre et son chef bientôt attitré. Nous ne rentrerons pas dans les querelles parisianno-parisiennes qui font qu’il est de bon ton de siffler Mikko Franck, futur directeur musical du philharmonique de Radio France. Samedi soir, sa direction a été correcte même si, parfois, elle est un peu brouillonne, laissant les chœurs solitaires chercher leur chemin avec d’inévitables décalages. Cependant, une mention très bien (en ce moment c’est de rigueur) est attribuée aux enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, particulièrement attentifs, sollicités vocalement, mais aussi scéniquement, et idéalement préparés par Samuel Coquard, leur directeur musical. Puis il y a le plateau. Jonas Kaufmann survole son sujet. Il est un Don José plus que parfait, scéniquement et vocalement.

Et, s’il est vrai que le contraire eut été étonnant, rappelons qu’il n’avait chanté ici qu’en 2006, soliste du Requiem de Verdi, pour sa première « opératique » il ne déçoit pas : précis, diction parfaite, ligne de chant directe et puissante, couleur, émotion… Le bon choix de Raymond Duffaut qui, à lui seul, a le mérite de remplir les gradins du théâtre antique pour trois soirées. Restons chez les garçons pour saluer la prestation de Kyle Ketelsen, Escamillo, pour sa première prestation orangeoise. Celui qui fut Leporello, il y a peu sur la scène du Festival d’Aix-en-Provence, s’impose physiquement et vocalement. Sa personnalité est remarquable. Reste à savoir s’il pourrait tenir un « grand rôle » devant le mur ? Nous pensons que oui. A essayer…Pour en terminer avec les hommes, Teitgen (Zuniga), Noguera (Moralès), Grand (le Dancaire) et Laconi (le Remendado) assurent leurs parties avec aisance.

Venons en à Carmen. Kate Aldrich, dont c’était la première aux Chorégies, a toutes les qualités vocales pour servir le rôle-titre. Elle est facile, régulière dans son chant, puissant et coloré, avec une aisance véritable et beaucoup de limpidité. Le « hic », c’est qu’ici elle est à contre-emploi ; ou presque. « So british » cette Carmen qui manque de gouaille, d’impudeur, de chaleur méditerranéenne. Et le fait que son visage soit maquillé en blanc (pour la TV ?) ne fait que renforcer le décalage avec son personnage. Et elle a beau nous montrer ses jambes (qu’elle a fort belles au demeurant) jusqu’à mi-cuisses, elle est loin de ce côté sauvageonne qui sied à Carmen. Quant à Inva Mula, Micaëla, ici aussi la voix est belle, mais manque cependant singulièrement de diction. Les notes sont là mais sans la candeur juvénile qui caractérise le personnage. On le sait, Inva Mula, habituée des lieux, est plus en adéquation, ici, avec les grands rôles dramatiques… Pour en terminer avec ces dames, signalons qu’Hélène Guilmette (Frasquita) et Marie Karall (Mercédès) ont été au niveau d’excellence des deux premiers rôles.

Désormais, après l’ultime représentation de Carmen ce 14 juillet, et le triomphe de Jonas Kaufmann, nous attendons désormais « Le Trouvère », début août, ici même, avec Roberto Alagna…








 
 
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