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Opéra Magazine, octobre 2014 |
Richard Martet |
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Konzert, Peralada, 3. August 2014
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Jonas Kaufmann, Castell de Peralada
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Entendu au lendemain d'un passionnant gala de l'English National Ballet, le
concert donné par Jonas Kaufmann a confirmé la réussite de la politique
menée à Peralada par Oriol Aguila, sous le double signe du prestige et de la
qualité. En très grande forme vocale, le ténor allemand a électrisé
l'assistance à chacue de ses apparitions, au point de faire oublier, le
rideau retombé, un programme bizarrement construit, une phalange inégale
(Orquestra de Cadaqués) et un chef (choisi par lui) globalent routinier.
Que viennent faire, par exemple, ces fragments du ballet du Trouvère
(révision parisienne de 1857), entre le monologue d'entrée de Don Carlo et
"Ah! si, ben mio"? Ou cette adaptation sirupeuse du "Je dis que rien me
m'épouvante" de Micaela, entre l'air de Don Alvaro dans La forza del destin
et «O souverain, ô juge, ô père» du Cid? Sans parler, en deuxième partie,
des Préludes aux actes III de Die Meistersinger von Nürnberg et Parsifal,
peu adaptés au contexte d'un récital vocal et, de toute évidence,
insuffisamment répétés.
En dépit des chutes de tension occasionnées
par ces trop longs (et trop nombreux !) intermèdes symphoniques, Jonas
Kaufmann réussit à allumer le feu. Don Carlo, Don Alvaro, Rodrigue (dans un
français parfait), Siegmund («Ein Schwert verhiess mir der Vater», avec
toujours des « Wälse !» ahurissants de puissance et d'intensité) et Parsifal
(«Amfortas ! Die Wunde !») relèvent de ces héros torturés, écartelés entre
amour et devoir, dans lesquels le ténor donne, depuis toujours, le meilleur
de lui-même, surtout quand il évite, comme ce soir, d'assombrir sa voix à
l'excès. Son portrait de Manrico convainc moins, faute de l'indispensable
complément de «Di quella pira», à l'instar des deux Wesendonck-Lieder
(Schmerzen et larme, très bien interprétés, mais un peu incongrus dans ce
programme entièrement opératique !
Les quatre bis font définitivement
chavirer le public : un «Donna non midi mai» de Manon Lescaut, irrésistible
d'ardeur et de sensualité fiévreuse ; un «Lamento» de L'Arlesiana,
bouleversant et d'une poésie éperdue ; un «Gern hab' ich die Frau'n geküsst»
de Paganini, idéalement charmeur ; et, pour finir, l'immortel «Dein ist mein
gantes Herz», abordé avec la même concentration et la même force de
conviction que les appels à l'aide de Don Alvaro et Parsifal.
Il est
évidemment possible de chanter Lehar d'une autre manière, et l'on peut ne
pas être sensible à cette façon qu'a Jonas Kaufmann de plonger ses
personnages dans le doute, l'angoisse et/ou le désespoir — y compris quand
rien, dans le texte ou la musique, ne l'indique. Mais quelle présence, quel
engagement dramatique et quel magnétisme !
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