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la Croix, 26/6/14 |
Emmanuelle GIULIANI |
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Puccini: Manon Lescaut, Royal Opera House London, June 17, 2014
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« Manon Lescaut », une Manon de reality show
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Au Royal Opera House de Londres, la nouvelle production de Manon Lescaut est
portée par l’engagement ardent des deux rôles principaux.
Au deuxième
acte de Manon Lescaut, Puccini introduit un madrigal écrit par le vieux
Géronte pour sa « protégée ». Une page infiniment gracieuse, une parenthèse
enchantée, confiée à une voix soliste de mezzo posée délicatement sur un
chœur féminin et soutenue par une orchestration frissonnante fleurant bon le
XVIIIe siècle.
Sur la scène de Covent Garden, la jeune Russe
Nadezhda Karyazina ravit par le velouté de son timbre profond et la pureté
de son style. L’auditeur reprend son souffle. Reconnaissant à Antonio
Pappano de ménager enfin les décibels, lui qui fait sonner très haut, tonner
même, la fosse du Royal Opera House.
Sa direction semble préférer la
force au raffinement, à l’unisson de la mise en scène racoleuse de Jonathan
Kent qui situe l’intrigue, inspirée de la célèbre Histoire du chevalier Des
Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, dans le milieu sordide de la
prostitution sous l’œil des caméras de la téléréalité la plus clinquante.
Constante agitation sur le plateau
Il s’en suit des poses
suggestives exécutées avec bravoure par la belle Kristine Opolais (Manon
affublée d’un costume froufroutant dévoilant ses longues jambes) et une
constante agitation sur le plateau. Difficile, dans ces conditions, à la
musique de s’épanouir dans le crescendo de passion et de tension dramatique
inscrit au cœur même de l’ouvrage.
Heureusement le couple Kristine
Opolais-Jonas Kaufmann (le chevalier Des Grieux) est de ceux qui savent
faire naître l’émotion et conquérir le public. Jeune, blonde et belle, elle
donne vie à une Manon plus ravageuse que moelleuse dont la mort entre cri et
chuchotement – sur une étrange portion d’autoroute, dévastée par on ne sait
quel séisme, en lieu et place du désert attendu – est conduite avec talent.
On a connu timbre plus ensorcelant et incarnation plus frémissante
mais la soprano lettone « tient » le rôle avec assurance et détermination.
Captée pour le cinéma
Quant à son chevalier, c’est le ténor lyrique
actuel dont la voix virile, entre graves romantiques et aigus dardés comme
des carreaux d’arbalète, et la ligne de chant parfaite se coulent
merveilleusement dans l’écriture puccinienne.
Très sollicité par le
metteur en scène, l’artiste monte et descend à l’envi l’escalier de l’«
auberge » du premier acte, fait quelques sauts quasi périlleux sur le lit du
second et s’exerce sur une échelle de pompier au quatrième… Il en faudrait
davantage pour ridiculiser ce comédien racé que l’on est en droit toutefois
de préférer dans un registre plus retenu.
Captée pour le cinéma,
cette Manon Lescaut – retransmise en direct le 24 juin et en différé dans de
nombreuses salles de cinéma (1) – livrera sans doute à l’écran, grâce aux
plans serrés sur le visage de chanteurs, des secrets qui échappent aux
spectateurs du théâtre. Notamment les expressions, fugitives ou appuyées,
tendres ou violentes, de la frivole Manon et de son ardent Des Grieux.
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