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Classic Toulouse, 8 mai 2014 |
Serge Chauzy |
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Konzert mit dem Kammerorchester Wien-Berlin: Mahler,
"Lieder eines fahrenden Gesellen", Halle aux Grains, Toulouse, 7.
Mai 2014
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D’amour et de mort
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Le nom seul de Jonas Kaufmann fait de chacune des apparitions du grand ténor
allemand un événement musical. Le 7 mai dernier, son passage à Toulouse dans
le cadre de la saison des Grands Interprètes a attiré tous les amateurs de
musicalité et d’émotions vocales. Il serait néanmoins injuste de limiter
l’intérêt de ce concert à la seule présence de ce soliste, si prestigieux
soit-il. Pour l’accompagner, mais aussi pour le précéder et lui succéder
dans un programme admirablement composé, le Kammerorchester Wien-Berlin
déployait ce soir-là les beautés de sa formation basée sur la réunion de
musiciens (et pas une musicienne : bizarre !) des deux plus fameux
orchestres du monde.
Associer des membres éminents des Philharmonies
de Vienne et de Berlin ressemble en effet à une gageure. Les deux phalanges,
si elles entretiennent des relations de qualité, n’en constituent pas moins
des rivales au titre d’une certaine suprématie mondiale. Sous la maîtrise de
leur super-soliste Rainer Honeck, issu de l’Opéra et de la Philharmonie de
Vienne, la vingtaine de musiciens réunie ce soir-là déploie des charmes d’un
extrême raffinement. Dès les premières mesures de la Symphonie pour cordes
n° 10 du tout jeune Felix Mendelssohn, le moelleux de la sonorité,
l’homogénéité et la fusion des pupitres, la finesse des phrasés s’imposent
avec évidence. Cette partition d’un enfant de quatorze ans, modeste dans ses
dimensions, inspirée de Haydn mais déjà tout imprégnée du romantisme
naissant, témoigne d’un génie authentique en devenir, d’un sens inné de la
mélodie et d’une aimable fraîcheur d’inspiration.
Avec le Sextuor à
cordes qui ouvre son dernier opéra, Capriccio, c’est la fin d’un monde que
dépeint Richard Strauss. Enigmatique débat sur la prédominance des paroles
ou de la musique dans un ouvrage lyrique, l’ultime témoignage pour la scène,
conçu en pleine seconde guerre mondiale, est précédé de cette pièce de
musique de chambre crépusculaire, initialement écrite pour un simple sextuor
à cordes. Le Kammerorchester Wien-Berlin choisit d’en donner une version
plus étoffée, convoquant la totalité de son effectif instrumental.
Néanmoins, soulignant ainsi le decrescendo final, cet effectif se réduit peu
à peu aux six musiciens de la version originale. Voici qui confère à cette
interprétation raffinée comme un parfum de fin de vie.
Datant de
l’extrême fin du XIXème siècle, Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée), ce
poème symphonique emblématique du jeune Arnold Schönberg, marque la
transition entre un romantisme agonisant et la révolution radicale de
l’atonalisme qui est en train de naître. Cette œuvre ambigüe, d’une profonde
beauté formelle et expressive, peut s’aborder de deux points de vue
différents. Soit comme la fin d’un monde, soit comme la naissance d’un
autre. Les musiciens du Kammerorchester choisissent à l’évidence la première
solution. Evitant les arêtes vives de la partition, ils privilégient la
profonde nostalgie qui accompagne le déroulement de cette histoire d’amour
sous une lune symbolique, proche par l’expression du duo nocturne entre
Tristan et Isolde. Là aussi le choix se porte sur la version orchestrale,
élaborée par Schönberg lui-même en 1943, de la partition originale pour
sextuor à cordes. Les derniers frémissements, comme le frisson d’un bonheur
retrouvé, concluent joliment la soirée.
Mais avant cela, bien sûr,
Jonas Kaufmann était le soliste du cycle des quatre Lieder eines fahrenden
Gesellen, ces Chants d'un compagnon errant composés par Gustav Mahler
quelques années à peine avant La Nuit transfigurée de son ami Schönberg qui
en a réalisé la version orchestrale offerte ce soir-là. Ces chants
mortifères, dont les poèmes désespérés sont également de la plume de Mahler,
repoussent très loin les limites de la douleur. L’effectif réduit de cette
version Schönberg permet ainsi à Jonas Kaufmann des nuances d’une infinie
douceur. L’évocation, dans le premier lied, des noces de la bien-aimée, n’en
est que plus poignante. La nature, présente dans le deuxième, n’apporte pas
la consolation espérée. Ainsi le soliste insiste avec une ironie amère sur
le « Schöne Welt » (Le beau monde). Le désespoir éclate avec le troisième
volet « Ich hab’ ein glühend Messer » (J’ai un couteau brûlant dans la
poitrine) pour laisser la place à la résignation la plus noire du final.
Tout au long de ce cycle, Jonas Kaufmann ne cherche en aucun cas à «
faire du beau son ». Sa voix de ténor si sombrement timbrée se plie au plus
extrêmes nuances, recherche avant tout l’expression, l’intimisme de la
douleur. On a du mal à réaliser que ce même artiste incarne avec panache les
plus grands rôles du théâtre lyrique, de Werther à Manrico, de Siegmund à
Faust ! Il n’est ici que noire et bouleversante douleur.
L’accueil
qui lui réserve un public particulièrement attentif et silencieux ce soir-là
(tiens, les toux se sont calmées !) obtient deux bis, particulièrement bien
choisis dans la ligne de l’exigeant et beau programme de la soirée. Le
dernier des Wesendonck Lieder de Richard Wagner, Traüme (Rêves), apporte la
douceur de l’apaisement. Et le fameux Zueignung (Dédicace), de Richard
Strauss, résonne comme un retour à la vie, comme un remerciement chaleureux.
Un grand merci à Grands Interprètes et à son soutien, le Conseil
Général, pour cette belle soirée.
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