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Forum Opera |
par Clément Taillia |
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Konzert mit dem Kammerorchester Wien-Berlin: Mahler,
"Lieder eines fahrenden Gesellen", Opéra royal du château de
Versailles, Paris, 8. Mai 2014
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A Versailles, Jonas Kaufmann est le roi solaire
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Un mois jour pour jour après son triomphal Voyage d’Hiver au Théâtre des
Champs-Elysées, Jonas Kaufmann foule pour la première fois les planches
vénérables de l’Opéra Royal de Versailles, dans le cadre d’une petite
tournée européenne, débutée quelques jours plus tôt à Vienne, et qui se
poursuivra à Baden-Baden, au Luxembourg et à Athènes. Une tournée de
l’Orchestre de Chambre Vienne-Berlin en premier lieu, les Chants d’un
compagnon errant de Gustav Mahler ne durant pas plus d’une petite vingtaine
de minutes ; mais comme Kaufmann remplirait les salles même en reprenant de
vieux succès d’Annie Cordy, ses admiratrices émoustillées ont fait le
chemin, au bras de leurs époux résignés. Nous les comprenons d’autant mieux
que le romantisme crépusculaire qui baigne encore ces pages de jeunesse
semble fait pour la voix sombre et les harmoniques ombrageuses du ténor.
Noir, barytonant parfois, le timbre l’est – c’est en tout cas ainsi qu’on le
décrit le plus souvent. « Wenn mein Schatz Hochzeit macht » confirme l’a
priori, et même le plus printanier « Ging heut morgen übers Feld » s’en
trouve grevé d’un poids et d’une gravité inhabituels. Mais cette noirceur
brille, ce soir, d’un éclat singulier : c’est d’abord celui des mots, dont
on ne perd pas une syllabe, et qui se trouvent parés de lumières
changeantes. C’est ensuite l’instinct avec lequel Kaufmann s’adapte d’emblée
à l’intimité des lieux, et à l’effectif réduit qui l’accompagne. Dans cet
écrin, il ose tout : une expressivité profondément intériorisée, des nuances
encore plus subtiles qu’à l’accoutumée, des allègements de texture
extraordinaires, qui prêtent à la voix des reflets solaires qu’on ne lui
soupçonnait pas toujours.
Le succès revient donc autant à Kaufmann
qu’aux instrumentistes : les musiciens regroupés au sein du Kammerorchester
Wien-Berlin sous la direction du violoniste Rainer Honeck (frère de Manfred)
sont issus des Orchestres Philharmoniques de Vienne et de Berlin, ce qui
veut tout dire. La 10e Symphonie pour cordes de Mendelssohn, virtuose et
savante, révèle déjà la rigueur et la cohérence de leur jeu, le Sextuor de
Capriccio soulignant quant à lui la qualité des individualités en présence.
La Nuit Transfigurée est également de ces pièces qui semblent écrites pour
une pluralité de solistes davantage que pour un orchestre ; la formation s’y
plonge avec délices, se joue des difficultés accumulées, tout au long de la
partition, par un Schoenberg encore jeune mais déjà aguerri et ambitieux, et
subjugue par sa puissance et par sa beauté, dans cette œuvre de l’extase où
le Wagner de Tristan et Isolde n’est jamais bien loin.
Extase,
Tristan et Isolde, Wagner : les trois se conjuguent lorsque Jonas Kaufmann,
qui a assisté depuis la salle à la deuxième partie du concert, remonte sur
scène interpréter le « Träume » conclusif des Wesendonck-Lieder, dont il a
déjà montré au disque toutes les affinités qu’on pouvait lui trouver avec
une voix d’homme. Triomphe oblige, « Zueignung » vient conclure, en bonne et
due forme, cette étonnante soirée où la Vienne-fin-de-siècle s’est
délocalisée à Versailles.
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