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Resmusica, 3 juillet 2013 |
par Dominique Adrian |
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Verdi: Il trovatore, Bayerische Staatsoper, 27. Juni 2013
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Munich : audacieux et admirable Trouvère
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En plus d’un Simon Boccanegra importé de Londres (dont nous parlerons
prochainement), l’Opéra de Bavière fête le bicentenaire Verdi par de
nouvelles productions de deux de ses opéras les plus difficiles à rendre
crédibles scéniquement, toutes deux avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros. En
décembre, ce sera au tour de Martin Kušej, l’un des grands patrons du
théâtre à Munich, de se confronter certainement sans concession à la Force
du destin; en attendant, c’est à Olivier Py, qui aime au contraire la
démesure et le mélodrame, que Nikolaus Bachler a choisi de confier Le
Trouvère. Le choix est audacieux, parce que Py est bien moins connu en
Allemagne qu’en France et parce que ses productions lyriques ont fait frémir
les traditionnalistes. Il s’avère pourtant payant au-delà des prévisions les
plus optimistes.
Contrairement à beaucoup de traditionnalistes, Py a
lu le livret de Cammarano et écouté la musique de Verdi. Ce qu’il en a tiré
est effrayant : enfant brûlé vif, tortures, bûchers et cachots, visions
cauchemardesques… C’est ce qu’il entreprend de montrer, dans un décor de
Pierre-André Weitz son collaborateur habituel : structures métalliques,
machines aux fonctions incertaines, néons aveuglants, ici pleinement en
situation. Py, on le voit vite, a été interloqué par le surgissement de ce
cauchemar surréel au beau milieu d’un XIXe siècle partagé entre religiosité
sulpicienne et rationalisme incarné en une révolution industrielle et
scientifique, et c’est ce qu’il a entrepris de montrer, sans négliger le jeu
théâtral : certaines scènes intimes sont montrées dans un compartiment de la
haute structure qui occupe le centre de la scène, et Azucena, à l’entracte,
exécute des tours de magie – au détriment d’un Jonas Kaufmann complice.
C’est au milieu de ce sinistre paysage de métal que surgissent par moments
les visions traumatiques qui unissent les personnages, la mère d’Azucena
brûlée vive, celle-ci brûlant à son tour son enfant, tous ces fantômes qui
unissent de gré ou de force la plupart des personnages de l’histoire. Py
raconte cela de manière à la fois complexe et lisible, sans tomber comme
parfois dans le grand-guignol, avec un sens de la narration et du rythme
théâtral qu’on ne lui a pas toujours connu – grâce, peut-être, au temps
maîtrisé qui est celui de l’opéra.
En une telle soirée, on ne peut
que se dire qu’il est bien loin, le temps où des metteurs en scène
découragés d’avance se contentaient d’indiquer entrées et sorties aux
monuments du chant ! Ce n’est pas une nouveauté, certes, mais on peut redire
à quel point Harteros et Kaufmann incarnent le monde lyrique actuel, où
chanter divinement et jouer à la perfection ne sont plus incompatibles et où
les stars du chant acceptent de dialoguer d’artiste à artiste avec les
metteurs en scène les plus divers ; non pas bêtes de scènes, mais grands
acteurs. Mais au-delà des deux étoiles du jour, c’est toute la distribution
qui s’investit dans la vision de Py : sans nul doute la prometteuse Golda
Schultz, pour ne citer qu’elle, a-t-elle compris tout ce que son personnage
peut gagner à n’être pas qu’une ombre au second plan, et on l’entend par là
même comme on n’avait jamais entendu Inès.
Ce n’est pas que la
distribution soit sans défaut : ni Alexey Markov ni Elena Manistina ne
convainquent vraiment ; leurs prestations sont loin d’être indignes, mais
dans une telle soirée on aimerait entendre autre chose qu’une honorable
routine internationale. Le timbre du baryton n’est pas sans présence, mais
la conduite de la voix est trop raide, les mots manquent de couleur ; chez
la mezzo, les efforts sont palpables pour animer le rôle, mais le résultat
est trop peu tenu, trop prompt aux excès mal maîtrisés et finalement
convenus pour ne pas rapidement lasser – le vrai problème est qu’elle en
perd le sens de la ligne indispensable à l’équilibre des ensembles.
Reste le miracle de ce couple central, révélé au monde lyrique sur la même
scène quatre ans plus tôt par un Lohengrin historique. On pourrait
pinailler, reprocher à Kaufmann une tendance au relâchement de la diction, à
Harteros certaines stridences. Mais il faut vite rendre les armes. Ce qui
est ici admirable, en termes purement musicaux, c’est qu’ils font tous deux
la démonstration qu’on peut sacrifier sans remords tout l’histrionisme qui
s’attache à cette musique, parce que la simple construction des lignes
mélodiques verdiennes, portée avec intelligence, avec goût, est
dramatiquement, émotionnellement plus forte que toutes les « améliorations »
qu’on croit devoir leur apporter. Quand cette intelligence de la force
primaire de la musique, qui était déjà à l’œuvre dans leur Lohengrin commun,
rencontre un matériau vocal aussi exceptionnel, l’événement est là.
Dans la fosse, Paolo Carignani livre avec un orchestre aux couleurs
italiennes impeccables une prestation verdienne comme toujours
professionnelle et efficace ; on remarque seulement avec plaisir que, quand
son Nabucco munichois, il y a quelques années, tendait à se complaire dans
une raideur clinquante de fanfare militaire, ce Trouvère bénéficie d’un
geste plus libre et plus attentif au détail qui offre aux chanteurs – y
compris un chœur dont la puissance sonore est loin d’être la seule qualité –
une occasion idéale de faire briller leurs dons musicaux et théâtraux. |
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